Nouvelles du front, de Marine Tondelier : journal de bord d’une militante chevronnée.
« Le 14 juillet 2014, Steeve Briois a une pelle dans les mains et plante lui-même, avec ferveur, l’arbre de la liberté. Les arbres de l’égalité et de la fraternité doivent compléter le tableau les années suivantes, annonce-t-il solennellement dans un grand moment de communion républicaine. Liberté. Égalité. fraternité. Ces mots résonnent étrangement dans la bouche de notre maire. Il y a comme un hiatus. Quelque chose qui sonne faux. Peut-être le contraste entre l’image vertueuse que Steeve Briois tente de se donner et ses obsessions xénophobes anti-roms et anti-clandestins. L’héritier de Jean Jaurès d’un côté, l’auteur de la charte “Ma commune sans migrants” de l’autre. Version politique du docteur Jekyll et de M. Hyde. » (p. 85)
Que se passe-t-il une fois que le pouvoir est aux mains d’un parti comme le FN-RN ? L’histoire de la commune de Hénin-Beaumont est à cet égard exemplaire. En 2014, cette ville du Pas-de-Calais marquée par l’industrie minière qui y fut prospère, tombe dans l’escarcelle de l’extrême droite qui a, pour ce faire, su développer une redoutable stratégie de conquête – en dénigrant les oppositions ; en s’appuyant sur les failles, parfois bien réelles, des mandatures des maires précédents* ; en faisant intervenir les poids lourds du parti sous le regard complaisant de journalistes dépêchés sur place, etc. Marine Tondelier détaille les difficultés quotidiennes qui s’ensuivent. Clientélisme, harcèlements des opposants, management toxique, placardisations, règne de la défiance et de la délation, épuration des personnels en poste non favorables aux idées du FN-RN, théâtralisation des conseils municipaux où est mise en scène la déconsidération (et la démolition en règle) des élu·es d’opposition (de gauche ou écologistes), mise au pas des associations et suppressions des aides et des subventions auparavant allouées sans difficulté (la section locale de la Ligue des droits de l’homme en fera les frais), propagandes simplistes (contre l’Europe, contre le message originel des Évangiles, contre le syndicalisme ouvrier…) : l’arsenal du FN-RN défonce à coups de butoir les processus véritablement démocratiques qui aspirent à la bonne entente et l’harmonie. L’altérité est la cible principale de ce parti qui ne supporte pas ce qui est différent, la dissidence, ce qui ne rentre pas dans le rang, ce qui est hors du cadre – étriqué – que le FN-RN s’ingénie à imposer.
Évidemment, quand on observe la chape de plomb et les dégradations des liens sociaux qu’amène dans son sillage au niveau communal le FN-RN, on est en droit de s’inquiéter des conséquences incalculables (dont la macronie offre cependant un aperçu assez précis) qui se présenteraient si ce parti aux méthodes si peu recommandables étendait son emprise à des échelons plus élevés.
« Si l’on gratte le vernis, la France apaisée que cherche à nous vendre Marine Le Pen, à Hénin-Beaumont, c’est aussi, pour ceux qui se mettent en travers du chemin du FN, un France qui intimide et exclut. Vu comme ça, l’envers du décor est moins reluisant. Il effraie, même. Parce qu’à Hénin-Beaumont, vous n’avez pas le choix. Soit vous êtes avec eux, soit vous êtes contre eux. Ou plus exactement vous avez le droit d’être contre eux, dans votre tête, mais il est conseillé de ne pas le montrer si vous tenez à votre tranquillité. L’altérité, ça n’est pas la tasse de thé de ces gens-là. La communication municipale a beau être dithyrambique, la dédiabolisation a beau faire son œuvre, il n’empêche que le FN reste un parti d’extrême droite. » (page 213)
* À Hénin-Beaumont, l’histoire aime être ironique. Élus d’opposition au Front national, nous avons le privilège incongru de partager cette fonction avec… Gérard Dalongeville, ancien maire PS de la ville, condamné en 2013 pour détournements de fonds et profitant d’une suspension de son inéligibilité après avoir fait appel de la décision. » (page 30)
Nouvelles du front, de Marine Tondelier, éditions Les Liens qui libèrent, Paris, 2017, préface actualisée, septembre 2024, 224 p., 8,90 €.