La doublure, de Mélissa Da Costa : un roman à l’eau de rose à laquelle se surajoutent, progressivement, au fil de chapitres de plus en plus sombres, quelques lampées gourmandes de bile noire.
On avait apprécié le charme suranné et la petite musique mélancolique qui habitaient Les lendemains, l’un des précédents opus mainstream de Mélissa Da Costa, qui décrivait le cheminement d’une jeune veuve plongeant dans une solitude auvergnate revigorante. La doublure raconte quant à elle comment une jeune femme, passagèrement vulnérable, issue des classes moyennes, Evie Perraud, pleine d’innocence et de bonne volonté, qui a coupé les ponts avec sa famille lorraine, qui vient de se faire larguer par son boyfriend marseillais et qui a laissé tomber son job dans une supérette, va se retrouver sous la coupe d’un couple d’extrêmes bourgeois sulfureux, Pierre et Clara, qui avaient besoin d’une assistante docile plus ou moins corvéable à merci dans son style pour aider la carrière de peintre contemporaine de Clara à décoller. Car Clara peint. Des œuvres inspirées par le romantisme du XIXᵉ, par le sadisme, par Goya, par la Bible, par Baudelaire ou par John Collier dont la peinture Lilith (1887) orne la couverture (ci-contre). Dans la tradition mésopotamienne puis juive, Lilith est une démone, première femme d’Adam, succube abusant des hommes durant leur sommeil. Au-delà d’une espèce de huis-clos chic sur les hauteurs de Saint-Paul-de-Vence, où Clara niche, La doublure se double donc d’une réflexion sur le statut de la femme dans la mythologie, désignée à la fois comme tentatrice ou comme créature maléfique.
Des relations de plus en plus troubles se nouent petit à petit entre le beau Pierre – trentenaire un poil arriviste, aux manières douces et persuasives, bourreau de travail toujours entre deux avions, directeur dans une grosse boîte d’assurances qui appartient à son richissime beau-père (car quand on possède un yacht, on est richissime, n’est-ce pas ?) –, la dominatrice et sensuelle Clara, dévorée par sa passion pour l’art, et l’ingénue Evie. La tragédie devient inexorable. Dans un mille-feuille de perversions, les addictions (au sexe, à la beauté, à la coke, à la gloire, à l’argent et autres petites pastilles ouvrant les portes des paradis artificiels aux lendemains désenchantés) s’empilent. Revanches, vengeances, mensonges, trahisons, jalousies, perfidies et dominations plus ou moins volontaires : leurs relations s’avèrent de plus en plus toxiques et malheureuses. Et on se doute bien que tout ça risque de mal finir. Corrompre l’ingénuité, abuser sans limite de soi-même ou de son prochain, n’est pas toujours sans conséquences.
« Pourquoi j’ai l’impression que je suis en train de mourir ?
— C’est la chute des hormones. Attaque de panique et crise d’angoisse sont monnaie courante.
— Alors je ne suis pas en train de mourir ? »
Il reste patient et calme, sourit, secoue la tête.
« Tu n’es pas en train de mourir. » (p. 276)
La doublure, de Mélissa Da Costa, Albin Michel, coll. « Le livre de poche », 2022, 704 pages, 10,40 €.