Ce matin la mer est calme – Journal d’un marin-sauveteur en Méditerranée, d’Antonin Richard : un ouvrage aussi précieux que mémorable sur la problématique compliquée des flux migratoires.
« Petit à petit, je suis intégré au planning des équipes. Greenpeace utilise deux canots semi-rigides pour patrouiller le long de Lesbos. Quand la mer le permet, nous sortons du port de Molyvos une heure avant le lever du soleil. Tandis que nous sommes enfouis dans nos combinaisons sèches, l’air de l’hiver nous fouette le visage. On longe la côte pour se mettre à l’ancre dans une anse, le temps que le soleil se pointe. Comme suspendus, on somnole, en attendant que la radio crépite. » (page 33)
Sensibilisé aux intimidations et répressions policières – car goûtant à la vie en squat autogéré –, activiste politisé aux fibres anarchistes et possédant des compétences en matière de navigation acquises durant ses jeunes années, c’est assez naturellement que l’auteur, Antonin Richard, entre en contact en 2016 avec des associations humanitaires comme Greenpeace ou Médecins sans frontières qui opèrent entre les ports siciliens, grecs ou maltais et les zones « Search and rescue » au large de la Libye.
De sa plume au style concis et journalistique, Antonin Richard raconte le quotidien de ces missions à bord de l’Aquarius, de Sea-Watch 2 ou du Prudence. S’amariner ; vivre en collectif en haute mer parmi des bénévoles venus des quatre coins du globe ; repérer les frêles embarcations chargées de Syrien·nes ou de Soudanais·es qui rêvent de fuir un cauchemar et de trouver asile en Europe ; superviser les sauvetages ; accueillir à bord ces invité·es souvent lourdement traumatisé·es mais néanmoins plein·es de vie, d’espoirs et de gratitude ; affronter les garde-côtes libyens aux méthodes brutales ; cohabiter avec les patrouilleurs de Frontex dont les directives se durcissent en même temps que les gouvernements français ou italien s’extrême-droitisent ; digérer les drames, lorsque les sauvetages, en pleine nuit ou perturbés par les manœuvres criminelles de garde-côtes libyens, s’accompagnent de noyades, ou lorsqu’il s’agit de récupérer des cadavres ballonnés ballottés par les flots ou des esquifs pestilentiels à la dérive passés sous les radars dont aucun des passager·ères n’a survécu… Décrire, donc, pour comprendre et peut-être pour que les choses s’améliorent en mer Méditerranée.
Modeste et magnifique témoignage qui interroge notre humanité et le bien-fondé des frontières que des lois xénophobes souhaiteraient toujours plus étanches et infranchissables, Ce matin la mer est calme – Journal d’un marin-sauveteur en Méditerranée, d’Antonin Richard est un hommage sincère rendu aux us des gens de mer – et de terre – qui gardent, chevillée au corps, l’idée de porter secours aux naufragé·es et aux voyageur·euses en détresse. Les femmes et les enfants d’abord.
Ce matin la mer est calme – Journal d’un marin-sauveteur en Méditerranée, d’Antonin Richard, illustration de la couverture (splendide) : Florent Grouazel, Éditions les Étaques, Ronchin, 2020, 200 pages, 9 €.