Écrire sur un livre que l’on voudrait conserver en silence. Écrire sur un livre à garder pour soi. Écrire pour ne pas dire. Ne pas raconter. Ne pas développer. Protéger le livre des mots superflus. Ne rien vouloir bouger à l’intérieur du livre. Quand le livre tumulte à l’intérieur des femmes. Rester pudique. La vie têtue, premier roman foudre poing cœur souffle de Juliette Rousseau.
Écrire sur La vie têtue pour ne pas dire que ce livre, ces mots, cette autrice tranchent le tronc des femmes en deux. Fendre le ventre, les tripes, les carapaces. Des sœurs, mères, filles, grands-mères. Parler aux vivantes. Vers l’apaisement.
Pour ne pas dire que chaque mot de La vie têtue nous accueille dans son bois, cerné par des spectres hématomes. Du bois qui forme les cercueils des disparues. Du bois qui laisse filtrer la lumière du retour des printemps. Dans l’attente d’un vol d’hirondelles.
Pour ne pas dire que l’écorce des mots de La vie têtue gratte, soulève, colère ou adoucie. La littérature ne guérit pas. Elle reconstitue. Elle restitue. Les corps violés accouchés morts. Nos corps. Nos héritages. Les corps et les héritages des femmes.
T’écrire c’est négocier avec le feu. Découvrir des foyers incandescents et en accepter l’épreuve. Puis laisser la matière s’apaiser. On n’écrit pas sur des chardons ardents. On écrit en soufflant doucement sur les braises. On en extrait ce qu’il reste. Parfois ce sont quelques phrases, parfois une fatigue infinie.
Pour ne pas dire que les chapitres de La vie têtue se ramifient autour de nos branches. De transmission. De lutte. De descendance. Faire sang commun. Femmes sang mêlé. Femmes solitude. Femmes territoires de douleur qui atomisent.
Pour ne pas dire que la métrique orfèvre de La vie têtue entre prose et poésie, vers soi, vers elles, vers nous, sème des boutures dans le champ lexical à côté de l’arbre. Cueillir. Humer. Pleurer. Parler. Écrire pour respirer entre les pages.
Pour ne pas dire que les mots de La vie têtue s’infiltrent dans le trou béant de nos racines au pied de l’arbre. Creuser la terre meurtrière des hommes. Creuser la mémoire et ses traumatismes. Creuser sous les peaux d’absence. De celles perdues qui nous habitent un peu plus.
La joie advient, tout entière. Elle ne se prête ni aux regards ni aux critiques. La joie la plus bouleversante, c’est celle des corps meurtris. Celle-là renverse le monde plus sûrement qu’un discours politique. Ta joie brusque était le plus beau chant de résistance jamais composé.
Pour ne pas dire que La vie têtue connaît le manque d’accroches solides sur l’arbre pour fixer une balançoire. Aller au bout de l’enfance. Des lignées cicatrices. De l’orage qui gronde au-dessus du hameau.
Et trouver les mots pour dire.
La vie têtue, c’est accrocher une balançoire à un arbre ancillaire aux branches cassées.
Nous ne venons pas de nulle part.
Nous sommes fragiles et debout.
Têtues et en vie.
Sororité.
Nous sommes les héritières d’une détermination farouche, nous les descendantes des avortements ratés, des grossesses imposées. Celle-ci est indémêlable de nos douleurs et de nos rages, transmises d’une génération à l’autre comme on essore un torchon plein de sang, dans l’anonymat d’une cuisine plongée dans la nuit.