La Débâcle : un roman historique de Romain Slocombe.
On connaît le goût et l’érudition de Romain Slocombe pour la période 39-45 ; on s’est régalé avec les fresques noires de sa saga Sadorski se déroulant pendant l’occupation allemande.
La Débâcle, comme le titre l’indique, retrace quant à elle cet épisode assez désastreux qui se situe entre la « drôle de guerre » et l’armistice. Durant ce moment, après plusieurs mois statiques, l’armée allemande envahit la Belgique par surprise, brise les défenses françaises et s’enfonce en profondeur dans le pays. Son aviation pilonne sans vergogne ni rencontrer vraiment d’obstacles. Les divisions de Panzers et les troupes d’élite SS enthousiastes et dopées s’engouffrent. La population française est terrorisée. Les routes s’encombrent rapidement de réfugié·e·s qui fuient les zones de guerre et l’invincible progression de la Wehrmacht. Les Stukas survolent les routes, plongent en piqué, toute sirène hurlante, et font des ravages parmi ces colonnes de fuyard·e·s sans défense anti-aérienne.
L’armée française est mise en pièces – 90 000 morts en quelques jours et bientôt 2 millions de prisonniers. Le manque de liaison, de munitions, de cohésion, de soutien logistique, d’ordres intelligibles, donnent aux militaires, alors qu’ils se battent comme de beaux diables contre les Schleus, le sentiment d’avoir été trahis.
Plus précisément, La Débâcle suit les parcours, semés d’embûches et d’atrocités, d’embouteillages et de gares bombardées, de Lucien Schraut, soldat en déroute et photographe dans le civil, qui rêve de retrouver, au sud de la Loire, sa fiancée, Hortense Gutkind, jolie modèle qui a fui Paris ; de Jacqueline Perret qui elle aussi a quitté les quartiers chics de la capitale, avec son frère Bernard, ses parents, leur chien d’appartement et leur bonne, Simone ; de Marie-Louise et son avocat de mari qui a des connaissances dans la grande bourgeoisie et jusque dans les ministères, eux aussi saisis par l’effervescence des déménagements précipités…
« Si tout se déroule comme prévu [dixit François Lehideux, administrateur délégué des usines Renault et membre de l'équipe du ministre de l'Armement Raoul Dautry], demain matin le général de corps d’armée von Studnitz sera à 9 heures au pont de Bondy sur le canal de l’Ourcq. Les régiments de la 87ᵉ division feront leur entrée dans la ville, musique en tête. Nos troupes repliées du nord – plusieurs divisions de la VIIᵉ et de la Xᵉ armée en partie disloquées – auront contourné Paris cet après-midi par les boulevards extérieurs, côté est, pour rejoindre la rive sud de la Loire. Une retraite parfaitement honorable, dans le calme et la discipline. Nos cadres militaires, c’est l’essentiel, seront toujours là dans la France d’après l’armistice… Et, disons un petit million de populo prisonnier aura pris ses congés payés en Allemagne, où la discipline nazie les dressera, avant qu’ils ne se remettent au travail dans nos usines… et nous n’entendrons plus parler de grèves ! » (p. 157)
Romain Slocombe décrit les horreurs de la guerre, la violence des combats qui terrifient ceux qui y participent aussi bien que ceux qui en entendent juste parler ou ceux qui voient les colonnes de fumée à l’horizon. Le désordre est quasi total. Les routes, sous le feu de l’ennemi, sont une succession de visions cauchemardesques. Les Français sont traversés par plusieurs courants de pensées opposées. Les uns, parfois haut placés, prévoient de faire des affaires avec l’occupant. Les autres se sentent combattifs. Beaucoup ne comprennent pas ce qui leur arrive. Tous veulent sauver leur peau – ou au moins la défendre chèrement – et préserver leurs coutumes – parfois anciennes.
Et dans ces conditions extrêmes se révèlent les héroïsmes, les instincts de survie, les intuitions mystérieuses, les inconséquences, les lâchetés et les facettes ignominieuses de chacun·e.
Magistrale démonstration de l’injustice qui frappe avec une logique imprévisible les damnés de la terre comme le gratin et les populations civiles de quelque bord que celles-ci soient. La guerre ne fait pas dans la dentelle. Elle exacerbe les penchants. Et ceux qui tirent les ficelles ne sont bien sûr pas tous des amis du genre humain.
On conseillera donc La Débâcle à quiconque aurait la fâcheuse tendance à avoir de la guerre une vision édulcorée, romantique, glamour. La guerre est une immonde saloperie et Romain Slocombe a ce talent immense de nous le faire ressentir, intellectuellement et presque physiquement, avec une acuité et un sens du dénouement tragique remarquables.
La Débâcle, roman historique de Romain Slocombe, Éditions Robert Laffont, Paris, 2019, coll. « Grands romans – Points », 506 pages, 2020, 8,30 €.