Rue des livres #2 : Dimitri Rouchon-Borie

Deuxième focus sur un auteur invité à la quinzième édition du festival littéraire Rue des livres qui se déroulera les 12 et 13 mars. Avec Dimitri Rouchon-Borie et Le démon de la colline aux loups. Premier roman sur la lutte intérieure d’un enfant martyr devenu criminel. Portrait viscéral, tellurique et bouleversant d’un homme-loup privé d’éducation et d’amour. À l’écriture poétique puisée dans l’innocence originelle. Un coup dans le cœur !

 

Le demon de la colline aux loupsRetourner à la colline aux loups. Le narrateur écrit son histoire derrière les murs d’une prison. Le récit d’un assassin aux racines familiales cauchemardesque. Enfant, celui qui n’est pas nommé. Martyr enfermé dans une pièce aux volets clos avec ses frères et sœurs « blottis comme des mulots ». Adulte, celui qui est nommé. Il s’appelle Duke. Il n’a connu son prénom qu’au bout de plusieurs années d’existence en enfer. Duke est habité par la violence. Un « arbre pourri avec ses racines pour toujours dans le marais de l’enfance ». Duke va tuer le démon qui le dévore par le prisme de l’écriture derrière les barreaux de la prison dans laquelle il est enfermé. Condamnation à perpétuité. Perpétuellement mort depuis la colline aux loups.

Je ne peux pas compter combien de temps de la mienne, j’ai passé en prison par rapport au temps dehors c’est comme si de toute façon je ne pouvais pas prétendre avoir été libre un seul jour. La Colline aux loups c’était déjà une prison bien pire que tout imaginez-vous sous l’eau depuis le jour de votre naissance à retenir votre respiration en attendant une bouffée d’air qui ne vient pas ma vie c’est ça. (p. 183)

L’auteur et chroniqueur judiciaire en Bretagne Dimitri Rouchon-Borie signe un premier roman qui cogne la tête, qui excise le ventre, qui vertige les mots. Son récit poignant déroule les détails d’une vie saccagée de glissements en glissements. Deux-cents cinquante pages hantées par les origines de la souffrance. Sur l’absence d’éducation aimante et de langage social qui conduisent à une existence criminelle. Dans le lit des sévices parentaux. Sans porte de secours possible. Les souvenirs-plaies de Duke dégoulinent sur son corps d’homme. Une tôle de chairs traumatiques. Un démon perpétuel qui dévore ses quelques tentatives de sociabilisation. L’enfant sans nom sans éducation sans amour. Duke, conscient de la nature de ses actes. Ce trop-plein de maltraitance de colère de haine : « Je disais à la nuit tu ne me feras pas peur j’ai plus noir que toi dans mon enfance ».

Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort. Et cette mort profonde c’est elle qui est en train de monter en moi et de conquérir tous mes organes je le sais je ne peux que l’accepter et c’est ainsi. Et c’est sans doute aussi ma souffrance qui a fait le lit du démon et qui a causé la mort de tous ces gens que j’ai tués. (p. 73)

Ce trop-plein dans la tête du narrateur qui se déverse dans la lecture du Démon de la colline aux loups. Maltraitance, viol, inceste, meurtres. Flot de brutalité continue. À l’écriture éblouissante. Dimitri Rouchon-Borie aiguise une plume de bris de lame incandescente. Le style poétique connecté à l’innocence originelle constitue un sas de respiration et rend ces lignes poignantes dans un bourbier cérébral macabre. Des éclats de finesse et de sensibilité qui dépassent la dégringolade radicale quand le sang circule à flots de nerfs et de gestes. Retourner à la colline aux loups.  Retourner à la colline au loup à pas animal. Retourner à la colline au loup à pas de mots. Et tuer le démon pour « encaisser sa part ». Duke, vers une expiation littéraire avant de refermer pour de bon la tragédie de la colline aux loups.

Le démon de la colline aux loups – Roman de Dimitri Rouchon-Borie – Éditions Le Tripode – 237 pages – Sorti le 07 janvier 2021
Programmation complète du festival Rue des livres ici 

Envie de réagir ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>