Kiran Millwood Hargrave, Les graciées

Kiran Millwood Hargrave, Les graciées : un roman historique aux parfums (plus ou moins délicats) d’embruns, de graines de fenouil et de bûchers dressés.

 

533x800_HargraveAvec ce premier roman fort bien troussé, sur un rythme assez lent, descriptif et envoûtant, l’auteure invite ses lecteurs·trices à découvrir la vie rude d’un groupe de femmes (veuves après une catastrophe en mer qui a volé la vie de tous les hommes de l’île de Vardøya* en âge de pêcher), au début du XVIIᵉ siècle, sur les bords de la frisquette mer de Barents, où les hivers durent grosso modo six mois. Nous attachant à plusieurs de ces femmes (Maren et sa vieille mère acariâtre ; Diinna d’origine same** et son bébé ; Kirsten Sørensdatter et son tempérament volontaire et tempétueux ; Ursa Cornet, jeune citadine fraîchement mariée arrivée sur l’île avec son mari, le pasteur Absalom venu à Vardø avec de sombres desseins…), Les graciées raconte comment une communauté îlienne (qui ne doit d’ordinaire sa survie qu’à la solidarité entre les habitant·e·s) se clive et, sous les injonctions délirantes d’un pasteur en lutte contre des villageoises un peu trop émancipées à son goût, sombre dans une véritable chasse aux sorcières***.

Portraits de femmes vaillantes, de femmes bigotes, de femmes jalouses, de femmes repues, de femmes insoumises, éventuellement amoureuses et de femmes condamnées, Les graciées de Kiran Millwood Hargrave décrit donc ces temps (que les moins de 350 ans n’ont pas connus) durant lesquels naître femme ne présentait pas que des avantages. Heureusement, depuis qu’Emmanuel Macron (à l’omnipotence bienveillante se répandant comme une tache d’huile de foie de baleine à travers toute l’Europe et ce, jusqu’au cercle polaire), judicieusement entouré de Marlène Schiappa, Gérald Darmanin et Éric Dupont-Moretti, a fait de la cause des femmes une priorité gouvernementale incontournable, ces temps sont révolus.

* Pour celles et ceux qui voudraient se faire une petite escapade du côté du Grand Nord et respirer un bon bol d’air salutaire, en cette période pré-électorale délétère, voilà les coordonnées précises : 70° 22′ 44″ N, 31° 05′ 13″ E.

** Les Samis, occupants ancestraux de ces terres inhospitalières, pratiquent le chamanisme et élèvent des rennes.

*** « Peut-être aurait-on à gagner à renouer avec la psychanalyse et la psychologie. Sans aller jusqu’à chercher des invariants [dans la nature humaine], ces disciplines ont sans doute quelque chose à nous apprendre sur la manière dont, à l’intérieur d’un imaginaire, se forge l’idée que celui qui me ressemble tant est un diable, et qu’il faut faire cesser cette ressemblance [en le trucidant, l'exterminant, le pourchassant sans répit] », explicite Jérémie Foa, expert lui aussi en matière de massacre commis entre voisin·e·s et auteur de Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélémy (Éd. La Découverte, 2021), dans une interview croisée, avec Hélène Dumas, auteure de Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsis (1994-2006) (Éd. La Découverte, 2020), réalisée par Xavier de La Porte (in Nouvel Obs n° 2982, décembre 2021).

Kiran Millwood Hargrave, Les graciées, traduit de l’anglais par Sarah Tardy, 2020, Éditions Robert Laffont, Paris, 2021, coll. « Pocket », 448 pages, 7,95 €.

Envie de réagir ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>