Chavirer, de Lola Lafon

Chavirer, de Lola Lafon : un roman qui sent le camphre puis le soufre.

 

533x800_ChavirerCléo est une adolescente des années 80 qui rêve de réussir dans le très dur milieu de la danse, d’avoir peut-être une carrière exceptionnelle, de devenir populaire et de s’extirper ainsi du quotidien et de la médiocrité familiale. Cathy, une femme incarnant une classe supérieure et représentant la prétendument caritative fondation Galatée, approche Cléo : sa fondation délivre des bourses aux jeunes talents. Cléo va tout faire pour l’obtenir.

Dans Chavirer, Lola Lafon explore les dégâts qu’une société prédatrice provoque sur les jeunes âmes qui tombent dans les mailles des filets tendus par des esprits pervers. Dans une société où la réussite consiste à embarquer dans un go-fast qui vous conduira vers le succès, la fortune et les privilèges, les adolescent·e·s sont des proies faciles pour les vilaines sorcières qui ont des pommes empoisonnées à offrir.

Comment se construire, en tant qu’adulte, lorsqu’au sortir de l’enfance, on aura été abusé ? Enid et Elvire, réalisatrices engagées de documentaires, vont s’emparer bien des années plus tard de cette affaire. Elles vont tenter de retrouver les victimes de cette fondation aux coulisses si peu reluisantes pour en dresser les portraits.

« Il ne pourra s’agir d’un portrait d’héroïne. La célébration actuelle du courage, de la force, met mal à l’aise. Ce ne sont que “femmes puissantes” qui se sont “débrouillées seules” pour “s’en sortir”. On les érige en icônes, ces femmes qui “ne se laissent pas faire”, notre boulimie d’héroïsme est le propre d’une société de spectateurs rivés à leur siège, écrasés d’impuissance. Être fragile est devenu une insulte. Qu’adviendra-t-il des incertaines ? De celles et de ceux qui ne s’en sortent pas, ou laborieusement, sans gloire ? On finit par célébrer les mêmes valeurs que ce gouvernement que l’on conspue : la force, le pouvoir, vaincre, gagner.

Le système Galatée ne disait pas autre chose : que la meilleure gagne ! L’affaire Galatée nous tend le miroir de nos malaises : ce n’est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche ; ces hontes minuscules, de consentir journellement à renforcer ce qu’on dénonce : j’achète des objets dont je n’ignore pas qu’ils sont fabriqués par des esclaves, je me rends en vacances dans une dictature aux belles plages ensoleillées. Je vais à l’anniversaire d’un harceleur qui me produit. Nous sommes traversés de ces hontes, un tourbillon qui, peu à peu, nous creuse et nous vide. N’avoir rien dit. Rien fait.  Avoir dit oui parce qu’on ne savait pas dire non. » (p. 335-336)

Lola Lafon, Chavirer, Éd. Actes Sud, août 2020, 352 pages, 20,50 €.

 

 

 

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