Ludovic Chemarin© Kentia : une plante sans qualité ? est une exposition qui a lieu du 8 octobre au 26 novembre 2020, au Cabinet du livre d’artiste, dans le bâtiment Erève du campus de Rennes 2.
Dans l’entretien du dernier Sans niveau ni mètre¹ n° 55 est expliqué l’historique de Ludovic Chemarin© : le projet date de 2011, mené par le duo Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux. Leur objectif ? Racheter le nom, la continuation du nom et l’activité d’un artiste qui cesse de produire. Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux deviennent ainsi Ludovic Chamarin©. Ils font alors des recherches juridiques auprès de spécialistes des droits d’auteurs, sont entrer en contact avec des avocats, des historiens de l’art et de théoriciens pour faciliter l’enclenchement du copyright de Ludovic Chamarin, dans les limites du droit français et des usages de l’art.
L’artiste Ludovic Chemarin cesse son activité et accorde l’autorisation à Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux de céder à 100 % ses œuvres et son nom. Cela interroge le droit inaliénable et cessible des droits patrimoniaux (qui inclut le droit de représentation et le droit de production). Ce projet met en œuvre les droits individuels. Paradoxalement, la version copyright est une expérience humaine qui doit servir d’exemple (car c’est le premier cas français dans l’art contemporain) et « replace au centre celui qui crée, et vise à interroger l’auctorialité et la valorisation du geste artistique, rompant avec l’idée que l’œuvre est liée à la durée de vie d’un artiste et questionne la légitimité de la signature »². La question de la faillite de l’artiste est également approchée, car dans le marché de l’art, une démission peut permettre de remettre en cause le dynamisme du système spéculatif. Ici, la logique d’appropriation (et patrimoniale) est cassée car c’est un binôme extérieur à Ludovic Chemarin qui reprend son œuvre entièrement, avec son accord. Damien Béguet s’occupe de l’oralité (conférence, discours et présentation) et de la production tandis que P. Nicolas Ledoux prend en charge l’écriture et de la communication.
Au cœur du sujet, le Kentia plante découverte par les colonisateurs du XVIIIᵉ siècle, dont Ludovic Chemarin© se sert comme symbole (une plante sans qualité). Le kentia est lié au musée public et a servi à décorer les palais de la République ; il s’agit d’un élément aveugle, qui fait décor. Cela amène à une réflexion quant à l’espace même d’exposition. Le kentia apparaît en 2017 dans l’œuvre de Ludovic Chemarin©. Suite à l’agencement d’une exposition au FRAC de la région Paca, Ludovic Chemarin© expose des kantias dans le but d’interroger le formalisme de l’espace d’exposition et vise un accrochage moins autoritaire. Les œuvres créées par Ludovic Chemarin© incorporent le spectateur, qui doit en retour devenir acteur, dans le pire des cas, le spectateur est regardeur.
« L’enjeu était d’entretenir avec le visiteur une autre relation que celle de la contemplation, de l’accueillir, de l’inviter à rester un peu avec nous, de le remercier d’avoir gravi ces étages. Nous avions alors imaginé, sur plans, un salon de documentation composé de trois fauteuils du Frac, d’une table basse, d’un tapis circulaire gris et d’une plante. Une plante verte pour amener un peu de vie et de nature, pour tempérer l’étendue de le salle et l’imposante hauteur sous plafond. Une plante verte qui, contrairement aux œuvre, requerrait un peu d’attention matérielle – être arrosée, exposée à la lumière, etc.³ »
L’invention de ce salon par Ludovic Chemarin© permet de raviver le style visuel des intérieurs des musées des années 1970-1980. Le kentia a une valeur de neutralité dans le champ de l’histoire de l’art. Il est également récurrent dans les œuvres des années 70 de Marcel Broodthaers⁴ et plus récemment, d’un artiste conceptuel de la troisième génération comme Philippe Thomas.
Dans l’exposition, la figure de l’auteur est interrogée avec par exemple la signature de l’artiste qui est ré-appropriée par Ludovic Chemarin©. Un jeu de désincarnation de l’artiste a lieu et le rapport à l’authenticité évolue lentement d’un point de vue juridique. Ainsi, la récupération des photos de l’artiste permet de le réincarner et de puiser dans le réel, qui existe déjà. Il s’agit alors d’une invention de fiction mais sans invention, car l’exemple des photographies permet de décliner la suite des œuvres de Ludovic Chemarin©. Le fait de remettre en scène la personne de Ludovic Chemarin permet de constituer un feuilleton avec des épisodes. Le travail de sous-traitance est non masqué par les co-auteurs (Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux) qui activent d’autres artistes comme un peintre qui peint le portrait de Ludovic Chemarin, ou une sculptrice qui reprend en céramique des pièces en miniature de l’artiste. Ou encore la spécialiste du monde de l’art Nathalie Leleu, qui raconte l’histoire du projet et représente les coulisses de l’art contemporain.
L’exposition s’accompagne de l’ouvrage Kentia, publié aux éditions Incertain sens du Cabinet du livre d’artiste.
Exposition visible jusqu’au 26 novembre
Toutes les informations
1. Chemarin©Ludovic, Brogowski Leszek, Noury Aurélie, « Kentia : une plante sans qualité ? », Sans niveau ni mètre, n° 55, 8 octobre – 26 novembre 2020.
2. Ibidum.
3. Chemarin©Ludovic, Kentia, Rennes, Incertain Sens, 2020, p. 80.
4. Le palmier est considéré comme un emblème belge, celui de l’exotisme. La valorisation du kentia est une stratégie pour Marcel Broodthaers, car cette plante est associée au passé colonial du Congo belge. Et aussi à un imaginaire kitsch.