La chanteuse Fausta œuvre dans plusieurs formations rennaises ; mais elle mène aussi son projet en solo. Et en napolitain, sa langue d’origine. Rencontre avec une voix et un sourire.
■ Comment résumerais-tu ton parcours, ton arrivée dans la musique…
J’ai commencé en Italie, à prendre des cours de chant quand j’avais 14 ans ; à chanter en tant que choriste vers 18 ans. Je suis arrivée en France à mes 20 ans pour un Erasmus en arts du spectacle. Ici j’ai vraiment commencé à faire de la musique en tant que soliste après des années de conservatoire à Saint-Brieuc où je travaillais en parallèle, avant de devenir intermittente. J’ai aujourd’hui mon projet solo en italien et en napolitain (je précise parce que c’est mon dialecte, ce n’est pas la même chose que l’italien !) ; Ihris qui est un duo avec la pianiste Sarah Kay, c’est pop jazz ; et je chante aussi avec le projet brésilien Elefante. De temps en temps je remplace des chanteuses gospel sur des mariages. J’ai eu plusieurs projets avant, des quartets, d’autres groupes jazz…
■ Comment tu passes du jazz à la pop, à naviguer entre ces styles ?
Aujourd’hui je ne fais presque plus vraiment de jazz ; c’est une musique que j’adore mais que je ne sais pas très bien chanter. Je mélange avec la pop, et avec Sarah Kay qui est issue du jazz, j’arrive à bien jongler entre les deux. Pour la musique brésilienne il n’y aucun souci car je me sens rapidement bien dedans.
■ Qui t’a donné envie de chanter, avec des influences qu’on ne connaitrait peut-être pas en France ?
Mon chanteur napolitain préféré c’est Pino Daniele, je le mets dans tous mes projets, il y a au moins un morceau de lui ! C’est un guitariste chanteur qui est mort en 2014 et qui a mélangé la musique napolitaine et américaine type blues, rock. C’est un mythe pour les Napolitains qui sont un peu discriminés ; dès qu’un artiste porte notre culture, qui fait parler de nous, il devient un mythe. Lui c’est mon influence principale. Mon père était chanteur quand il était jeune, ma sœur faisait partie d’une formation napolitaine, j’ai aussi ces influences là, je chante depuis que je parle !
■ En avril 2020 tu as sorti ton EP Ananas ; comment tu l’as composé ? Et pourquoi ce titre ?
À cause de mes cheveux ! On me dit souvent que ça ressemble à un ananas (ou à une choucroute…). Pour composer je m’inspire d’expériences personnelles que j’ai eues en amitié ou en amour, que j’ai eues entre 2017 et 2019, on va dire que 2020 n’a pas existé ! Pour les titres, la production et le mix ont été réalisés par Miyuda qui est rennais ; j’écrivais la base et il m’a aidée pour les arrangements et la production.
■ Comme nous ne parlons pas napolitain, peux-tu nous parler d’un morceau en particulier ?
« Chi dice che non si può navigare », « Qui a dit que tu ne peux pas naviguer ». C’est un morceau qui parle de l’immigration, de ce que je ressens par rapport à ça. Souvent quand on parle de ce sujet ce sont des ballades tristes, mais je pense aussi qu’il y a de la colère de la part de ceux qui vivent ça. Je suis immigrée en France en tant qu’Italienne, mais moi je n’ai pas galéré pour arriver ici, j’ai le droit d’être là, de travailler. Mais par contre je comprends pas pourquoi certains n’ont pas cette chance-là, ils doivent traverser la mer, ils arrivent en Europe on les traite comme des criminels. Je connais pas ces sensations mais je les imagine. Dernièrement aussi le parti italien de droite La ligue du Nord, plusieurs fois ils ont bloqué des bateaux et les laisser deux semaines en mer, je trouve ça hallucinant.
■ Tout à l’heure tu parlais de la question de la langue, peux-tu nous en dire plus sur la langue napolitaine ? Est-ce que ça te paraît être une barrière pour chanter en France ?
En Italie, tous les dialectes sont restés. Le napolitain est issu du français, de l’espagnol ; il y a des expressions similaires au français qui n’existent pas en italien. Je me suis dit que j’allais chanter en napolitain en sachant que ça serait pas facile, surtout pour la pop electro qui est plutôt en anglais ou en français. Quand je fais des concerts personne ne me dit « c’est chiant parce que je comprends pas » et j’ai l’habitude d’expliquer les morceaux avant ou après. Mais effectivement dans la pop electro c’est plus compliqué de trouver la porte d’entrée, c’est un style où les gens aiment chanter le morceau ; pour le projet Ihris en jazz c’est plus simple.
■ Si tu devais nous donner une phrase en napolitain que tu affectionnes particulièrement ?
« Miette ‘e creature ‘o sole // pecché hanno sape’ addo’ fa friddo // e addo’ fa cchiù calore » ; c’est de Pino Daniele dont je parlais tout à l’heure. Ça veut dire « mets les enfants au soleil car ils doivent comprendre là où il fait chaud et là où il fait froid ». En quelque sorte, situer là où est le bien et le mal.
■ 2020 est une année étrange ; le confinement a-t-il été quelque chose que tu as bien vécu ?
Le confinement pour moi c’était bien parce que ça m’a fait une grosse pause ! Je n’ai pas spécialement écrit de morceaux, mais j’ai travaillé, comme des choses à distance avec Co-rennes-a-virus mené par Édouard Leys. C’était bien cette pause-là mais ça serait bien que ça reprenne…
■ On avait justement programmé cette interview en vue d’une date à l’Ubu qui a finalement été annulée…
Le concert d’octobre devait déjà avoir lieu en mai pour la sortie de mon EP. Là une deuxième fois… je vais plus pouvoir le présenter. C’est un peu démotivant comme période, les bars ferment tôt, tu sais pas qui tu peux démarcher, les festivals pour l’année prochaine risquent de programmer ce qui n’a pas pu être joué cette année. Je pense que ça va reprendre, mais on est tous là à espérer, alors que normalement cette période octobre/novembre elle est bien remplie.
■ Quel serait ton dernier coup de cœur musical ou artistique ?
En musique ça serait Rosalia, c’est un peu la Beyoncé espagnole, elle mélange flamenco et electro, je connais son album par cœur. Et puis Little Simz, une rappeuse anglaise. Dans le cinéma, la dernière claque que j’ai pris c’est Parasite, je suis restée scotchée devant l’écran.