Les Mille et une Nuits, de Vincent Guillaume

Les Mille et une Nuits, création théâtrale et musicale était présentée au TNB du mardi 3 mars au samedi 7 mars 2020. Produite par Vincent Guillaume à la fois metteur en scène, acteur et dramaturge français, elle place les contes au cœur des déchirements.

Vincent Guillaume a su mettre en scène des auteurs comme Marivaux, Virginia Woolf, Jean-Luc Lagarce, John Cassavetes et plus récemment Ovide et Shakespeare. Éclectique dans ses choix, il déclare être attiré par des formes de récits qui échappent aux normes de la morale et de la rationalité. C’est aussi le cas pour le conte oriental Les Mille et une nuits qu’il métamorphose en une quête de l’amour qui apparaît tantôt grivoise, tantôt onirique, tantôt cruelle mais surtout atemporelle.

Dans cette mise en scène à l’image de celle que le public rennais avait déjà découverte dans Ovide de Shakespeare, Guillaume Vincent enchâsse un récit dans un autre récit, créant ainsi une série de motifs récurrents dans une logique de variations. Un roi oriental rencontre ainsi la Bretagne toute de coiffe vêtue, grâce au son du biniou et  aux récits de Shéhérazade. C’est la rencontre entre l’Occident et l’Orient. Les Mille et une Nuits  révèlent alors l’amour sous toutes ses formes.

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© Elizabeth Carecchio

Guillaume Vincent ose donc toutes les fantaisies par le biais de rencontres hasardeuses, de l’errance ou de discussions triviales tout en proposant une réflexion sur les rapports humains, amoureux et sur nos différences. Dans Les Mille et une Nuits, le principe de mise en abîme permet de rendre hommage au célèbre recueil anonyme de contes populaires d’origine arabe, et d’y voir une femme abandonnée à elle-même, qui sauve sa tête en inventant des histoires d’amour.

La traduction choisie est celle du docteur Joseph-Charles Mardrus (traduction en 16 volumes au tout début du XXᵉ siècle) et elle se caractérise par un style légèrement rococo, c’est-à-dire décoratif et fleuri. Cette version modifie les approches singulièrement orientales grâce à une multiplication des motifs qui se concentrent sur des clichés stéréotypés occidentaux, tirant vers une sensualité décadente.

La pièce s’ouvre sur une scène qui montre une salle d’attente, un escalier ensanglanté devant lequel attendent plusieurs femmes habillées en mariée : le roi, ou plutôt le sultan Schariar, révolté par l’infidélité de sa femme, décide de se choisir chaque soir une nouvelle épouse, de passer la nuit avec elle et de la décapiter le lendemain. Les promises attendent donc leur terrible sort et marchent vers la mort lorsque la sonnerie retentit. Elles crient, frappent violemment derrière les portes immobiles et cet insoutenable moment tient à la fois de l’horreur contemporaine et de l’angoisse universelle. Seule solution pour arrêter le massacre : les contes de Shéhérazade, grâce auxquels le sultan épargne la vie de cette dernière.

Tenir le sultan en haleine tout comme le public devient l’enjeu de cette mise en scène. Les douze contes s’enchaînent de Paris à Bagdad, de la Bretagne au Caire en faisant se rencontrer trois vierges, une femme qui perd ses mains, trois saälick, la chanteuse Oum Kalsoum, Aziz et Aziza mais surtout le passé et les inventions de Guillaume Vincent qui viennent renouveler les traditions. La lampe d’Aladin devient grivoise, gauloise voire scabreuse, l’Orient se teinte de musicalité avec notamment les morceaux d’oud joué par Florian Baron. La violence des hommes se décline sous toutes ses formes jusqu’aux chants d’Oum Kalsoum (interprétée par Emilie Incerti Formentini). Femmes ou hommes, les clichés se multiplient, les amitiés explosent sous une balle, les femmes se réunissent et font front contre les hommes, des créatures costumées se font jalouses mais surtout les êtres s’aiment, se déchirent et ne (se) comprennent pas toujours. Les récits de Shéhérazade offrent ainsi un éventail de genres littéraires comme des récits fantastiques, drôles, émouvants, scabreux ou moralisants…

Les spectateurs suivent les personnages selon un principe d’enchâssement des récits qui se font échos entre eux et finissent par amadouer le sultan. Les comédiens interprètent avec amusement, légèreté et force des joutes oratoires dans lesquelles une guerre des sexes rappellent l’aujourd’hui et les peurs de Shéhérazade : le spectateur se trouve face à des personnages féminins et masculins, plutôt robustes et parfois malins qui s’affrontent entre eux. Finalement, dans un souci d’équité et de barbarie, les femmes perdent leurs têtes dès la scène d’ouverture tandis que les hommes se font émasculer dans la scène finale.

Parce que le conte et la fiction peuvent stopper l’atrocité, cette pièce ré-actualise un regard en khôl dans lequel les yeux contemplent l’imaginaire arabe réel et fantasmé par l’Occident et déclare la force cathartique des contes mis en scène dans leur déclinaison des sentiments et leur recherche, finalement, d’harmonie.

Caroline Fleuriot & Pauline Guémas

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