Ennemis d’État, essai de Raphaël Kempf

Ennemis d’État – Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes : un essai de Raphaël Kempf où il sera question d’iniquité, d’actions directes et des ripostes (parfois inconséquentes) de l’État pour y faire face.

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« Ce livre défend l’idée de l’abstention de l’État, d’un retrait ou d’une abrogation des lois qui donnent trop de pouvoir au gouvernement, à sa police et à ses procureurs, d’une décroissance pénale et sécuritaire en somme, pour reprendre la belle formule de Laurent Bonelli*. » (page 31)

Parce qu’il est avocat, Raphaël Kempf est très informé de la perversité de certaines lois auxquelles il est confronté dans l’exercice de son métier. Avec cet essai qui met en parallèle les lois extrêmement sévères votées contre les anarchistes à la fin du XIXᵉ et celles votées au XXIᵉ pour soi-disant renforcer l’arsenal répressif applicable aux terroristes, Raphaël Kempf met en garde contre les durcissements inopinés du Code pénal aux conséquences funestes pour ceux qui en subissent les foudres. Car ces lois votées dans la fébrilité, l’émotion (suite à des attentats**), s’avèrent vite iniques, liberticides, s’égarant de plus en plus loin de leurs cibles initiales, élargissant le collimateur pour atteindre, à l’emporte-pièce, tout le monde et n’importe qui – et surtout celles et ceux qui ne répondent pas aux critères arbitraires établis par l’État. Or, des lois qui, au lieu de garantir des droits fondamentaux (liberté de s’exprimer, de penser, de s’associer, de circuler, etc.), aboutissent à des procédures abusives et des peines qui ne devraient pas être prononcées sont-elles autre chose que des lois scélérates ? Le législatif n’est-il pas, dès lors, dévié de ses visées émancipatrices, devenant un instrument au service d’une férocité d’État dont tous les porteurs d’une parole, d’une posture, d’une pensée, voire d’une intention un tant soit peu contestataires ou subversives, deviennent, sous une république bourgeoise comme la nôtre, les ennemis déclarés ?

Les lois répressives sécuritaires (prétendument pensées pour mieux protéger les citoyens) mises en place en 1893 ou en 2014, servent in fine à museler, à réprimer toute remise en cause de l’ordre existant – et ce, même si cet ordre, assez solidement ancré dans un ensemble d’usages, d’a priori et de lois, est par bien des aspects au mieux perfectible, au pire rebutant et, dans tous les cas, largement sujet à caution.

Ce texte est ainsi truffé d’anecdotes – souvent tragiques – liées aux persécutions subies par les victimes de ces lois d’exception (anarchistes, communistes, syndicalistes, socialistes, humanistes, écologistes, militants, musulmans, simples quidams, imbéciles sans défense, etc.).

« L’un des malfaiteurs d’Angers, Meunier [écrit le militant anarchiste antimilitariste, journaliste et syndicaliste, Émile Pouget (1860-1931), longuement cité par l'auteur], qui fut condamné à sept ans de travaux forcés et à dix ans d’interdiction de séjour pour la part active qu’il prit aux grèves de la région en août 1893 et pour avoir écrit une lettre de “bonne année” à un ami, est à la Guyane ; sur ses sept ans de travaux forcés il en a subi près de cinq ; encore un peu plus de deux ans et il sera libéré – mais dans quelles dérisoires conditions ! De même que tous ceux qui ont une peine supérieure à sept ans de travaux forcés il sera astreint à séjourner à perpétuité dans la colonie et ne pourra jamais quitter la Guyane. » (page 206)

En creux, faudra-t-il deviner que les amis de l’État sont ceux qui se soumettent, aveuglément, à ses lois (y compris les moins légitimes), ceux qui ne font pas de vagues, ne font pas grève, ne collent pas d’affiches revendicatives, ne rechignent pas à être exploités, ne créent pas de journaux indépendants, ceux qui produisent servilement et apportent des richesses à même d’enrichir cet État et de profiter à ceux qui s’en servent, de cet État, pour s’enrichir – État que la population aurait cependant bien tort de cesser de critiquer car elle y perdrait sa souveraineté, déjà considérablement affaiblie à force d’avoir délégué une grande partie des décisions (qui la concernent pourtant en premier chef) à des instances qui la trahissent, oublieuses qu’elles sont des droits de l’homme et du bien commun ?

* Cf « Pour une décroissance sécuritaire », Le Monde diplomatique, mai 2017.

** Que ce soit « l’œuvre » d’un militant anarchiste vénère adepte de la propagande par le fait, comme Auguste Vaillant (1861-1894) qui ne trouva pas meilleure idée pour donner son point de vue et exprimer sa juste colère que lancer une bombe sur un paisible symposium de députés (et à qui on coupa donc la tête) ; ou celle d’un groupuscule fanatique en guerre contre l’Occident, ces attentats donnent lieu à des nouvelles lois, comme celle du 13 novembre 2014, qui sera défendue par Bernard Cazeneuve, et fera reculer le droit d’expression en condamnant lourdement des individus, jugés en comparution immédiate, pour de simples propos (même si ces derniers ne sont pas toujours subtils). « Ainsi le 12 janvier 2015 un homme de 34 ans est-il condamné en comparution immédiate à Valenciennes, pour apologie du terrorisme et conduite en état d’ivresse à quatre ans d’emprisonnement avec incarcération immédiate. Il avait dit aux policiers lors de son interpellation : “Il devrait y avoir plus de Kouachi [Chérif Kouachi (1982-2015) et Saïd Kouachi (1980-2015) ; Ndr]. J’espère que vous serez les prochains […] Vous êtes du pain bénit pour les terroristes.” (page 87) On le voit, en matière de justice, l’immédiateté profite rarement aux accusés, a fortiori en période d’état d’urgence.

NB : Raphaël Kempf présentera son ouvrage à la librairie Planète Io, rue Saint-Louis, le jeudi 20 février 2020 à 18 heures.

Ennemis d’État – Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes, essai de Raphaël Kempf – La Fabrique éditions, Paris, 2019, 13 €.

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