Au Paradis, Le Père humilié devient une allégorie politique et rock n’roll des amours contrariées. L’événement « Une saison au paradis » propose les créations des étudiants de l’école du TNB ; le public profitera de ces moments gratuitement jusqu’en mai. Le mercredi 8 janvier, la pièce de Paul Claudel Le Père Humilié mise en scène par Gilles Blanchard était présentée.
La surprise commence dès l’entrée dans le théâtre puisqu’un guichet indique le lieu où retirer les places. Ensuite, l’emprunt de l’escalier jusqu’au dernier étage fait apparaître un étrange autel rock n’roll décalé puis une salle emplie de multiples instruments de musique. La pièce est présentée par le biais d’un vidéo-projecteur éclairant un tapis et ce soir-là, c’est une pièce de Paul Claudel. Dans Le Père humilié, le public est plongé à Rome et dans la cécité de Pensée, fille de Sichel et Louis Coûfontaine. L’héroïne est amoureuse et aimée d’Orian de Homodarmes, neveu et fils adoptif du pape. Pensée aime, combat les doutes d’Orian, patiente puis triomphe et attend même un bébé de lui mais ce dernier sera tué pendant le conflit contre la Prusse en 1871. Leur amour est finalement réduit à un pot en terre et à cet élément caché : Pensée pleure le cœur de son bien-aimé ramené par Orso le frère d’Orian et son deuil, c’est la métaphore de la plante verte à entretenir quotidiennement.
La curiosité est au rendez-vous pour le public au nombre réduit. L’entrée en matière est vibrante car le texte de présentation est déclamé par un prologue féminin en habit à la manière d’un spectacle métal aux sons de batterie, guitares, synthé et basse. La fraîcheur est également au rendez-vous, sur les visages jeunes et inspirés de la troupe tout comme dans leurs tenues composées de blousons en cuir et de vêtements atemporels. Le travail sur l’occupation de l’espace et la diction est ciselé tout comme cette volonté de faire danser les corps et de dire l’amour charnel, spirituel et impossible dans les inflexions de comédiens sensibles. Le public se prend à suivre leurs doutes, leurs sentiments hésitants alors même qu’un brin de parodie et de décalage vient donner un coup de jeune autant au texte qu’aux visages d’un père et d’une mère qui s’amusent de la situation : vêtement de pape et sourires aux lèvres, jeux de papouilles entre une mère amusée et sa fille, chant lyrique et taquineries lourds de sens. Claudel se réactualise à travers les conflits du passé, dans les guerres, dans les relations amoureuses empêchées mais pourtant consommées alors même que cette sarabande de tableaux s’exécute dans l’entremêlement de corps qui disent le désir et l’effleurent dans la caresse sensuelle sur un air de Nothing’s Gonna Hurt You Baby de Cigarettes After Sex.
Impossible d’oublier les beaux chants lyriques. Frissonnant.
Avec cette mise en scène signée Gilles Blanchard, les étudiants de l’école du TNB ont donc présenté un parti pris du rythme dans ce drame amoureux et politique avec des improvisations de rock parfois contemplatif, parfois électrique. Impossible d’oublier les beaux chants lyriques. Frissonnant. La guerre, l’innommable, sont traduits par des cris et des airs aux sons graves. Le conflit et le deuil sont mis en scène par un invité fantôme : le spectre lumineux du tapis, qui ponctue les chapitres du livre et montre en image ce que pouvait être un conflit un siècle avant le nôtre. Le public en ressort étonné et il doit bien admettre que le spectacle est plaisant car cette mise en scène souffle un esprit de jeunesse et de hardiesse dans une pièce qui parfois possède bien des aspects désuets. Rock, parodie, sensibilité, jeux des corps dansants, poétique surprenante et musique inspirée, c’est un bon cru de la promotion du TNB que le public a découvert en attendant avec impatience leur prochaine proposition.
Toutes les infos sur « Une saison au paradis »
Caroline Fleuriot & Pauline Guémas