Adults in the room : un biopic franco-grec de Costa-Gravras sur la déroute politique du système européen en proie à l’ultralibéralisme en col blanc – ou en tailleur Chanel.
Membre de la Communauté européenne depuis le 1ᵉʳ janvier 1981, la Grèce a subi une crise économique majeure ces dernières années. En bon horloger, Costa-Gavras en démonte les mécanismes, vus non pas depuis le point de vue de ceux qui en subissent les conséquences socialement destructrices (accroissement des inégalités, précarisation d’une frange sans cesse plus importante du peuple), mais avec le point de vue de ceux qui, au sein d’un gouvernement grec fraîchement introduit, tentèrent de lutter contre l’aggravation de cette crise. Certes, cette dernière est étroitement liée à une mauvaise gouvernance et à une corruption des élites, mais également aux mesures d’austérité imposées par une Commission européenne assez insensible au bonheur des peuples. La « Troïka » (monstre à trois têtes : FMI, banque centrale européenne et Commission européenne) charge ainsi le gouvernement grec (qui n’a pourtant pas été élu pour ce faire) de prendre des mesures* qui vont à l’encontre des intérêts évidents de la population.
Yánis Varoufákis (Christos Loulis) est paré pour entamer un bras de fer au sommet.
Costa-Gavras pour ce film s’est inspiré d’un texte de Yánis Varoufákis, membre du gouvernement (de gauche) d’Aléxis Tsípras dont le parti, SYRIZA, a remporté en 2015 les élections législatives. Être ministre des Finances comme l’a été Yánis Varoufákis n’est pas une sinécure quand il y a des centaines de milliards d’euros de dettes à négocier auprès d’une Commission européenne assez obtuse et plutôt déterminée à faire preuve de fermeté. D’autant qu’il y a les espérances de tout le peuple grec à ne pas trahir. Sans parler des médias qui vous lynchent publiquement, ni de la menace de ce chaos que provoquerait le tarissement des liquidités disponibles dans les banques…
Par peur de ce chaos (qui serait pourtant peut-être hautement salutaire), pieds et poings liés face aux directives européennes (elles-mêmes issues du monde, aussi avide que hors-sol, de la finance), ce gouvernement n’arrive donc pas, quelle que soit sa bonne volonté initiale, à suivre les exigences légitimes du peuple qui l’a porté au pouvoir. Si bien qu’Adults in the room semble nous amener à cette conclusion évidente : « La corruption et l’incompétence sont la cible mondiale des colères et sont le support d’une idée globale : il est temps que les peuples gouvernent vraiment. » (cf. Alain Bertho, « L’effondrement a commencé, il est politique »)
Sur un sujet austère (et assurément plombant s’il est abordé à table à l’heure du sorbet à la poire ou à celle du tzatzíki), Costa-Gavras fait donc preuve de pédagogie pour mettre en lumière les manœuvres (pas très glorieuses) de celles et ceux qui, technocrates en cols blancs ou en tailleur Chanel comme Christine Lagarde (Josiane Pinson), tiennent les rênes de l’infernale Troïka qui impose sans vergogne ses diktats aux effets délétères.
NB : On notera, quitte à grattouiller la chauvine susceptibilité de tout bon Français fier, sans restriction aucune, de sa ô combien glorieuse nationalité, qu’ici, Costa-Gavras s’amuse avec une certaine réussite à ridiculiser les hommes et femmes politiques français·es entraperçu·es· dans les travées, couloirs et assemblées des ministères et autres supra-instances et montrés comme des individus incapables de tenir parole, loin d’être des Lumières susceptibles d’éclairer le monde d’aujourd’hui, inélégants (malgré l’éventuel tailleur Chanel), d’un cynisme crasse, veules, sans conviction (si ce n’est celle liée à l’idéologie qui les lie aux banques) voire sans honneur et qui sont, d’ailleurs, à ce titre, considérés avec un certain mépris par leurs pairs.
* Baisse drastique des salaires et des retraites ; privatisation des biens publics (comme les aéroports) bradés à des fonds d’investissement étrangers ; poids de la dette à rembourser toujours plus lourd…
Adults in the room – Biopic franco-grec de Costa-Gavras – Avec Christos Loulis, Josiane Pinson, Alexandros Bourdoumis… – Durée : 2h04 – Sortie le 6 novembre 2019 – Nommé à la 76e édition de la Mostra de Venise.