Algues vertes – L’histoire interdite, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove : une bd géniale pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de pratiques industrielles qu’il est plus que temps de remettre en question.

Avec méticulosité – et à rebrousse-poil des discours officiels émanant des préfectures, des grands médias ou des lobbies de l’agro-industrie triomphante –, Inès Léraud retrace les grandes lignes qui ont défrayé la chronique et les petites lignes, en filigrane, moins divulguées dans la presse, de ce qui relève d’un scandale sanitaire et environnemental.

D’où viennent les algues vertes ? Quels réels dangers représentent-elles, notamment quand elles s’accumulent et pourrissent sur place là où les marées successives les ont déposées ? Pourquoi rien d’efficace n’est mis en place pour lutter contre l’origine de cette pollution qui empuantit et rend impraticables des pans entiers du littoral breton – sous peine de mort à cause des gaz toxiques H₂S (d’une toxicité aigüe, aussi sournoise que redoutable donc, à moins de ne pas redouter celle-là, la mort) émis par la décomposition de ces milliers de tonnes d’algues ? Pourquoi les morts de sangliers, ragondins, chiens, chevaux, êtres humains (Thierry Morfoisse en juillet 2009, qui transportait des algues vertes dans la remorque de son camion affrété par Nicol Environnement, filiale du groupe Bouygues via Screg-Colas ; Jean-René Auffray, un joggeur, à Hillion, dans l’estuaire du Gouessant, en septembre 2016, pour lequel une autopsie ne sera pas effectuée à temps alors qu’elle aurait pu démontrer des taux d’H₂S fatals), morts incontestablement liées de très près aux émanations toxiques d’H₂S, sont-elles minimisées, passées sous silence et poussées sous l’épais tapis de la propagande pro-agriculture intensive ?

Avec force arguments, preuves et témoignages, Algues vertes – L’histoire interdite, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove reprend donc point par point le dossier de cette algue tueuse, couverte par les autorités, et ce sont tous les enjeux d’une politique ultralibérale qui sont mis en lumière, ses mensonges, ses conflits d’intérêts et ses collusions. Le concept de « politique criminelle » que l’on empruntera à Frédéric Lordon, prend dès lors tout son sens. La liste des principaux suspects, parmi lesquels il y a du beau linge (cf. les splendides doubles-pages 92-93 et 94-95, où l’on suit à la trace les chemins arpentés par un Jean-Yves Le Drian verdâtre et fort affairé à faire fructifier des réseaux dédiés à toujours plus de production agro-industrielle, quels qu’en soient les coûts humains et environnementaux pourvu qu’il y ait du pognon à la clé), s’établit cependant. Il en faudra sûrement d’autres, des enquêtes de ce genre, avant que les mentalités évoluent, que les habitudes de production et de consommation se reconnectent à la nécessaire préservation du biotope (pour l’heure aussi fragile qu’endommagé), pour que la logique prédatrice et sans scrupules d’agro-industriels soutenus par l’État et l’Europe soit totalement ringardisée ; mais au moins, les choses ici sont écrites, illustrées, et l’information passe dans le grand public qui hérite ainsi d’armes pour s’inviter dans le débat démocratique, en connaissance de cause.