La Guerre est une ruse : questions à Frédéric Paulin

Frédéric Paulin, La Guerre est une ruse : un roman en appelle un autre comme une guerre chasse l’autre…

« Lorsqu’il s’est engagé dans l’armée, il [Slimane Bougachiche, lieutenant du 25ᵉ régiment de reconnaissance, sous les ordres du CLAS (Centre de commandement de lutte antisubversive)] voulait rester honnête, droit, propre, se souvient-il. Sauf que la guerre ne rend pas les hommes meilleurs, elle les transforme en bêtes féroces. » (page 254)

Portrait_Paulin_INFrédéric Paulin (ci-contre) poursuit son exploration (qui promet d’être sans fin) des zones d’ombres ensanglantées. Après les crimes génocidaires au Rwanda (devant lesquels, a minima, la France ferma complaisamment les yeux, cf. Les Cancrelats à coups de machette paru aux Éditions Goater en 2018), la déroute des collaborateurs français (cf. La Dignité des psychopathes), le très speed 600 Coups par minutes au sujet des trafics d’armes avec l’ex-Yougoslavie (Éd. Goater, coll. « Goater Noir », Rennes, 2014), Paulin revient sur cette période sombre et chaotique, traversée durant les années 90 par l’Algérie (pays déjà abordé dans La grande peur du petit Blanc, Éd. Goater, coll. « Goater Noir », 2014).

Tandis que les mouvements islamistes sont de plus en plus influents, le gouvernement algérien se fait quant à lui de plus en plus réfractaire au multipartisme et de moins en moins regardant sur les façons d’endiguer cette propagation de l’intégrisme religieux. Agent de la DGSE à Alger, connaissant les moindres recoins de la Casbah et de la mentalité maghrébine, ayant ses indics et ses entrées dans tous les milieux, Tedj Benlazar, baroudeur à la vie personnelle en lambeaux, voit la situation empirer de jour en jour et nuit après nuit. Les attentats, les kidnappings, les actes de torture, les menaces à peine voilées, les exécutions sommaires (sans qu’on sache toujours très bien à qui les imputer) se multiplient. La chasse aux « barbus », pourtant plébiscités dans les urnes, est ouverte et les militaires au pouvoir s’emparent de ce conflit pour, justement, se maintenir au pouvoir.

Via ses agents sur place, la France, un peu dépassée et dont l’aura faiblit de l’autre côté de la Méditerranée, craint de voir cette guerre s’étendre, cherche à décrypter cet entrelacs de ruses, de chantages, de coups tordus et d’exactions ignobles, tout en préservant ses intérêts économiques et géostratégiques.

Frédéric Paulin décrit ainsi, avec clarté, un champ de batailles confuses. Il s’agit d’accéder au pouvoir, de s’y maintenir, coûte que coûte, quitte à faire sombrer un pays tout entier dans une guerre civile sans merci : les militaires et leurs ennemis sont ainsi les protagonistes d’une tragédie sordide, où la société civile est prise en tenaille et d’où pas grand-monde ne sortira grandi.

couvs_PaulinOn suit les tribulations de Tedj Benlazar dans ces deux tomes, parus chez Agullo : La Guerre est une ruse et Prémices de la chute (2019).

 

Questions à l’auteur


    • En lisant La Guerre est une ruse qui parle de l’Algérie et des conflits entre le FIS (Front islamique du salut), les GIA (Groupes islamiques armés) et le parti au pouvoir épaulé par le CLAS (Centre de commandement de lutte antisubversive) et le DRS (les services secrets algériens), je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec la vie politique en France qui met en scène artificiellement un duel entre un front républicain (de plus en plus antisocial, autoritaire et ploutocratique) et un parti xénophobe aux racines indubitablement fascisantes (de plus en plus proche du pouvoir au vu de ses scores électoraux aux présidentielles et dont les thèses imprègnent voire gangrènent les médias et les politiques publiques). Cette comparaison, toutes proportions gardées, fait-elle sens à tes yeux ?

Non, on ne peut comparer des périodes historiques aussi différentes, tant par les enjeux que par le nombre de victimes. D’ailleurs, je crois que l’analyse comparative ne correspond pas au roman. D’ailleurs, en sociologie (qui se rapproche le plus de mes romans ou, en tout cas, dont certain s’inspirent, et encore…), il n’existe pas de sociologie comparée. Moi, je suis romancier, ni juriste, ni politologue (matières qui connaissent l’analyse comparative, elles).

« C’est une jubilation d’écrivain peut-être »

    • On sent un certain plaisir à dépeindre des personnages torturés (au sens propre comme au figuré) dont on perçoit vite les dimensions tragiques. D’où te vient cette jubilation à manipuler la glaise noire et peu ragoutante dont semblent être constitués tes héros ?

En ce qui concerne les « héros », mes personnages sont à l’image de la plupart d’entre nous : ils ont des parts d’ombres et de lumières. Il n’y a pas de jubilation de ma part autre que celle de dessiner des personnages offrant une profondeur et un passé. C’est une jubilation d’écrivain peut-être. Quant aux « méchants » (qui ne le sont pas tous complètement), bien souvent je m’inspire de personnages ayant réellement existé ou représentant une métaphore, un condensé de l’inhumanité qui existe réellement dans les histoires que je raconte et l’Histoire que j’aborde.

    • Tu pourrais citer les sources où tu puises pour aboutir à des romans aussi étayés ? Ressens-tu le besoin de te rendre sur place où se déroulent tes romans ?

Les sources sont diverses : des essais écrits sur le sujet, des roman, Internet bien sûr (avec des sites comme AlgeriaWatch ou l’INA). Je pourrais évidemment citer toutes mes sources mais ça serait fastidieux ici. Quant à des « indics » je n’en dispose pas, ni chez les flics ou les militaires, ni chez des islamistes repentis.

    • Prévois-tu d’achever un jour un ouvrage avec un happy-end ? ou est-ce une hypothèse invraisemblable pour toi ?

Le happy-ending dans les situations que je décris n’existe pas. La guerre, les guerres civiles, conventionnelles ou même de basse intensité, se finissent toujours mal : des morts, des traumatismes et une situation politique et sociale rarement stabilisée.

    • Quels seraient tes derniers coups de cœur culturels à partager auprès des lecteurs·trices de L’Imprimerie Nocturne – qui te remercient chaleureusement pour le temps que tu as consacré à répondre à ces quelques questions ?

Je lis beaucoup de livres pas très récents, en fait je laisse passer du temps pour éviter l’effet de mode qui te force à lire des livres encensés par la critique et qui n’ont aucun intérêt trois mois plus tard.
En ce qui concerne les romans, je viens de terminer Sympathie for the Devil de Kent Anderson, un incroyable compte-rendu de la guerre du Vietnam au ras du sol mais trash, très trash. Les noirs et les rouges d’Alberto Garlini aussi : plongée dantesque dans les années de plomb en Italie au début des années soixante-dix.
Question essai, le salutaire Sorcières de Mona Cholet.
Et en BD, je viens de m’offrir l’intégrale des Manchette adaptés par Max Cabane et Doug Headline (La Princesse de Sang, Fatale et Nada).

La Guerre est une ruse – Polar de Frédéric Paulin – Éditions Agullo, coll. « Agullo Noir », Villenave-d’Ornon – 2018 – 384 pages – 22 €.

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