Portrait de la jeune fille en feu : une éducation sentimentale

Pour son quatrième long-métrage après La naissance des pieuvres, Tomboy et Bande de filles, la réalisatrice Céline Sciamma rend un hommage costumé aux femmes, aux muses et aux amantes éternelles avec Portrait de la jeune fille en feu. Un menuet amoureux délicat et une peinture politique à la beauté naturaliste épurée.

En 1770, sur une île bretonne, une comtesse d’origine italienne (Valeria Golino) demande à une peintre, Marianne (Noémie Merlant), de réaliser le portrait de sa fille Héloïse (Adèle Haenel) afin de l’envoyer  en Italie à son futur mari qu’elle n’a jamais rencontré. La jeune fille a déjà refusé de poser pour ce mariage arrangé. Marianne doit donc ruser afin de parvenir à ses fins. Elle endosse le rôle de dame de compagnie et tente de dessiner Héloïse en secret. Commence alors entre les deux femmes un jeu de regards à l’intensité croissante lors de promenades en bord de mer.

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Marianne est une jeune femme moderne qui boit du vin et fume du tabac à priser. Mais elle demeure emprisonnée entre les règles et les conventions de l’art patriarcal du dix-huitième siècle. Héloïse juvénile sort du couvent et n’a rien connu d’autre que l’isolement religieux.  Avant de succomber au plaisir des corps, les deux jeunes femmes vont croiser leurs regards le long des côtes bretonnes (le long-métrage a été tourné à Quiberon). Céline Sciamma peint, dessine, brode, brosse avec une minutie d’orfèvre le portrait d’un premier amour éternel entre les murs silencieux d’un château vide. Héloïse/Adèle Haenel muse doublement scrutée par des yeux d’artiste. Ceux du personnage de Marianne et ceux d’une réalisatrice ex-compagne qui lui offre un rôle sur-mesure. Les traits de la comédienne évoluent au fil de la découverte du sentiment amoureux. De sa moue boudeuse au sortir de l’adolescence à son épanouissement de femme au réveil d’une nuit d’amour. Beautés féminines en quête d’égalité à une époque liberticide. Pendant quelques jours, avec Sophie, jeune servante débridée dans leur sillage (Luāna Bajrami), elles vont constituer un trio à la découverte de l’autonomie  et s’émanciper des chaînes serviles des hommes, des conventions, des devoirs, des règles, des normes. Sans fracas, ni fureur, avec pudeur et douceur, dans une économie de dialogues mais avec des mots qui comptent, Céline Sciamma tisse un cocon salvateur d’où chacune ressortira transformée.

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C’est l’histoire d’un orage qui gronde raconte Marianne à propos de L’été de Vivaldi  qu’elle joue au piano. C’est l’histoire de la naissance d’une passion. C’est l’histoire d’un amour éternel. C’est l’histoire d’un mythe revisité. C’est l’histoire d’une quête d’égalité. C’est l’histoire d’un souvenir. Indélébile. Éprouver/regarder/savourer le présent pour mieux le fixer dans la rétine. « Ne me regrettez pas, souvenez-vous ! » Comment construire une image qui résiste au temps ? Et par ricochet comment une œuvre artistique traverse-elle les époques ? Céline Sciamma répond à la question par une mise en scène picturale  au rythme lent. Palette chromatique bleutée, pureté des visages lumineux en gros plan, flou d’arrière-plans cotonneux, paysages de bord de mer tumultueux, clair-obscur  des  flammes de bougies ou de feux qui crépitent. Une photographie somptueuse qui enveloppe les jeunes femmes et en magnifie la substantifique délicatesse. Le mythe d’Orphée et d’Eurydice en filigrane parachève l’impression d’un souvenir/amour éternel abrasif. Qui tirera des larmes  à Héloïse bien des années après.  Portrait d’une jeune fille en pleurs quand l’orage est passé. Et un dessin encore pour unique souvenir.

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Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Sorti le 18 septembre 2019. Genre : drame historique. Durée : 2 h.

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