La Disparition de Josef Mengele, roman d’Olivier Guez

La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez : le devoir de mémoire incite à se plonger dans de telles œuvres aussi sombres que salutaires.

 

La-disparition-de-Josef-MengeleOn y suit les pérégrinations du Bavarois Josef Mengele (1911-1979) en Amérique du Sud, où il finira sa sinistre existence. En Argentine (alors sous la houlette des époux Péron acquis aux idées colportées par les ex-SS), il se fait appeler « Helmut Gregor ». Puis parce que sa fausse identité est éventée et que la traque des criminels de guerre s’intensifie, il bouge en 1958 vers l’Uruguay, pays gouverné par Alfredo Stroessner (1912-2006) qui lui non plus n’est pas du genre à extrader d’ex-nazis. En 1960, c’est le Brésil, où il se fait appeler « Peter Hochbichler », qui l’accueille. Là encore, des réseaux d’entraide fonctionnent pour protéger sa cavale. Mais Mengele, de plus en plus acariâtre, dont la santé décline, toujours accompagné par la peur d’être reconnu, arrêté et jugé pour ses pratiques passées, est de plus en plus isolé.

« Début 1964, Mengele apprend une terrible nouvelle (…) : il a été déchu de tous ses titres universitaires. Parce qu’il a violé le serment d’Hippocrate et commis des meurtres à Auschwitz, les universités de Francfort et de Munich lui retirent ses titres de docteur en médecine et en anthropologie (…) Mengele est anéanti. Lui, l’ambitieux chirurgien du peuple maintes fois décoré, le grand espoir de la recherche génétique, dépossédé de ses plus chers trésors, de sa plus grande fierté, expériences invalidées, comme un vulgaire charlatan ! » (pages 159-160)

Au cours de cette reconstitution, on apprend de quelles protections jouirent les auteurs de crimes contre l’humanité, en particulier le « docteur » Mengele, qui officia à Auschwitz de début 1943 à janvier 1945. Il y pratiqua une « médecine » assez abominable, cocktail de crimes racistes, d’expérimentations eugénistes, de tortures, d’élimination massive des malades du typhus ou autres malingres, et de recherches génétiques, notamment sur la gémellité, en vue de constituer une armée aryenne innombrable. Ce curriculum cauchemardesque n’empêchera pas sa famille de riches industriels, basée à Guntzbourg, en Bavière, de l’aider financièrement, professionnellement, sentimentalement, bref de garder le contact – et le secret.

« Attablé avec le pilote héroïque [Uli Rudel, décoré de la croix de fer par Hitler en personne], Gregor exalte son propre passé de soldat biologique et ne lui cache rien. Mengele tombe le masque de Gregor. Médecin, il a soigné le corps de la race et protégé la communauté de combat. Il a lutté à Auschwitz contre la désintégration et les ennemis intérieurs, les homosexuels et les asociaux ; contre les juifs, ces microbes qui depuis des millénaires œuvrent à la perte de l’humanité nordique : il fallait les éradiquer, par tous les moyens. Il a agi en homme moral. En mettant toutes ses forces au service de la pureté et du développement de la force créative du sang aryen, il a accompli son devoir de SS. » (page 51)

Josef-MengeleSi l’auteur, grâce à un travail journalistique pointilleux, y compris sur le terrain, retrace presque pas à pas la décrépitude de Mengele (ci-contre au second plan), il prend soin également de rappeler le corpus théorique de ce monstre contraint de changer d’adresse et d’identité pour ne pas être retrouvé par le Mossad et autres chasseurs de nazis*. Car Mengele suivait une idéologie (documentée par exemple dans l’essai copieux La Loi du sang – Penser et agir en nazi, de Johann Chapoutot, Gallimard, 2014). Cet ouvrage d’Olivier Guez a ainsi le mérite d’en montrer les conséquences ultimes (à savoir la Shoah) lorsqu’on applique fanatiquement, au pied de la lettre, sans état d’âme, avec un cynisme et une cruauté sans limite, des préceptes basés sur une prétendue supériorité des uns sur les autres.

« En travaillant main dans la main à Auschwitz, industries, banques et organismes gouvernementaux en ont tiré des profits exorbitants ; lui qui ne s’est pas enrichi d’un pfennig doit payer seul l’addition. » (pp. 161-162)

* Adolf Eichmann (1906-1962) par exemple est arrêté le 11 mai 1960 à Buenos Aires par le Mossad, sous l’identité de « Ricardo Klement » et pendu en Israël en mai 1962 après un procès dont l’issue ne laissait guère de doutes. Ajoutons que, parmi les nazis avérés, beaucoup échapperont à toute forme de châtiment et connaîtront des fins de carrière sans souci, si ce n’est, parfois, les remous provoqués par de jeunes contestataires, en Allemagne de l’Ouest notamment, effarés de voir encore aux manettes d’ex-nazis aux passés pourtant plus que troubles.

La Disparition de Josef Mengele – Roman d’Olivier Guez – Grasset & Fasquelle, 2017 – Livre de Poche – Prix Théophraste Renaudot 2017 – 256 pages – 7,20 €

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