Un nouvel album de Sameer Ahmad au printemps, c’est un peu comme la neige au 15 août, un joie improbable pour ceux qui ont déjà su déguster ses opus, notamment depuis le superbe Perdants magnifiques puis le projet plus discret de l’EP Un amour suprême. Pour un rap de hippie, vive les hamacs, vive les tipis.
Les amateurs ne seront pas déçus s’ils aiment Sameer Ahmad qui reste au niveau d’un flow et d’une plume d’indien, déroulant son style unique sur 10 titres qui s’écoutent comme une lettre à la poste dans un dictionnaire. Apache (de apachu, « ennemi » en langue zuñi) est un nom générique donné à différentes tribus amérindiennes d’Amérique du Nord vivant dans le sud-ouest des États-Unis. Mais Apaches est aussi un terme générique qui sert à désigner des bandes criminelles du Paris des années 1900. Le rappeur Sameer Ahmad nous laisse peut-être le soin après écoute de son nouvel opus Apaches de trancher sur son orientation (même si la pochette ne laisse pas vraiment de doute). Dans tous les cas, il s’agit de continuer à rapper quoi qu’il arrive, seul face à un « Brasero » ou tel un « Sherpa ».
« Je suis tout seul, vous êtes plus de sept milliards. »
Sameer Ahmad, avant d’être une voix, c’est un plume. Une plume particulière qui s’autorise à écrire sans rimes, à décrocher du temps, à glisser à côté, à jouer au name dropping musical, cinématographique, mythologique ou historique, comme certains jouent au yoyo ou au bilboquet. À associer images poétiques à d’autres clairement rattachées au milieu du rap ricain, de retracer la route entre Jérusalem et Harlem, de dévoiler le fond d’une émotion comme d’imaginer une vie en apesanteur. « Pour l’enfermement ou pour l’enfer de Dante, moi j’aime redescendre frère quand la terre me manque » (Brasero).
Au début était le verbe, alors autant s’offrir carrément tout le « Logos »* en featuring avec Ezekiel. Et, l’auditeur subtil n’aura pas manqué de remarquer qu’une des boucles mélodiques est la même que celle de « Sitting bull », dans une tonalité différente.
« La caravane à la croisée des c’hmins, J’ai lacé mes Jordan j’ai laissé aboyer les chiens »
Les variations donc, comme celles des mots que Sameer Ahmad partage avec LK de l’Hôtel Moscou et Nakk Mendosa pour « Peyotl ». Il semblerait finalement que ce soit le désert et ses danses chamaniques qui l’emportent ; Sameer Ahmad, c’est un peu la beat generation en plein Bronx du XXIe siècle, trap en toile de fond et psychotropes pour éviter l’fond. Car Sameer Ahmad vole, sinon il ne serait pas capable de rapper sur un sample du Velvet Undergound (« Papa Legba »**) en voulant « toucher les cieux, quitter l’bayou poussiéreux » et s’laisser « pousser les yeux ». La plume de Sameer Ahmad est « en feu » ; comme sa voix qui s’éraille presque sur le titre final « H2O » et son ambiance aquatique. Celui qui a des lyrics « en collision avec une étoile filante », ce « lascar polyglotte » qui mélange ambiances mélancoliques avec des chutes ou des envolées abrasives, qui évite le rap game parce qu’il a swimming pool, rappelle qu’on mourra « tous dans ce siècle, unis dans ce cercle ». Pourvu qu’on y diffuse du Sameer Ahmad.
Apaches – Un album de 10 titres signés Sameer Ahmad – Sortie : 12 juin 2019 – Bad Cop Bad Cop -
* « Dans la pensée grecque antique, le logos (grec ancien λόγος lógos “parole, discours, raison, relation”) est au départ le discours parlé ou écrit. Par extension, logos désigne également la raison, forme de pensée dont on considère qu’elle découle de la capacité à utiliser une langue (grec γλῶσσα / glossa, γλῶττα / glotta “langue”). De l’idée de logos dérive celle de logique (au sens large par opposition à la logique mathématique moderne), qui correspond dans le monde latin à la rationalité, l’art de la pensée verbale juste. » nous explique Wikipedia.
** Papa Legba est un dieu africain vaudou.