Mythos : « 40° sous Zéro », Copi par le Munstrum Théâtre

« 40° sous zéro » du Munstrum Théâtre de Louis Arene et Lionel Lingelser. Samedi 6 avril 2019, 18h, au Théâtre du Vieux Saint-Étienne, dans le cadre du festival Mythos : deux pièces de Copi, deux farces* déjantées.

L’écriture singulière de l’artiste argentin francophone, figure majeure du mouvement gay, mort du sida en 1987 après avoir été dessinateur (pour Hara Kiri et Libération notamment), romancier, nouvelliste, danseur, homme et femme de théâtre, est ici mise en scène par Louis Arene et incarnée par le Munstrum Théâtre, dans une folie outrancière et cartoonesque.

40 degrés sous Zéro - photo de répétition : Maëliss Le Bricon.

40 degrés sous zéro – photo de répétition : Maëliss Le Bricon.

L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971)

Une voix. Cindy Lauper en mode Julie Cruise. Silhouette grandiose, coiffe futuriste de boules dorées.

Apparition des créatures. Boule de poil canidé. Eléphant humanoïde en talons. Froid polaire bilalien. Doudounes. Gibier. Blade Runner. Neige, après-skis. Cirque. Mère fille. Tchekhov. Croc de boucher, dépeçage de gibier. Gore. Inceste, viol ? Gore et re-gore. Absurde. Foutraque.

Sibérie, Moscou, mirabelle de Biarritz.

Changements de sexe en cascade. Tragédie, travestis, romantisme. Coming-out délirants, tout en franchise naïve et brute.

Irina, sa mère et sa maîtresse.

Irina, sa mère et sa maîtresse – Photo : Darek Szuster.

Grand-guignol, tableaux christiques, trio transgenre en huis-clos. Scotch. Fessée déculottée SM au gant Mappa. Comparaison de tailles de vits. Déclaration d’amour. Merde à paillette.

Successivement cinq ou six « Putain ! » dégoutés exhalés par ma voisine de strapontin. Le froid du décor où se tient l’histoire rattrape le public du Vieux Saint-Étienne sous ses gros plaids en laine visiblement insuffisants.

Réticule, animaux étranges, Michel Berger mutant, « Paradis blanc ».

Et ça enchaîne…

Les quatre jumelles (1973)

Deux sœurs : une marquise à coiffe de canettes glisse en patins à glace, une geisha en geta lui emboîte le pas ; entrent deux autres sœurs chauves à houppette, platform et moon boots, tueuses braqueuses, Laurel·le et Hardy·e.

Et là… Collision, accélération ! Héroïne, cocaïne, morphine, acides. Ça meurt et ça revit, ça a des faux seins, ça danse au ralenti sur de la musique techno, on est au beau milieu d’un vaudeville grotesque à la Tarentino ou Fargo. Ça s’aime et se déteste, se vocifère dessus ou dessous, se bouffe se saigne se bastonne, s’enfuit et se chasse, convulse, révulse… On n’y comprend rien, de l’Alaska ça veut partir à Boston, à Rio, en passant par la Suisse récupérer des lingots ; à la Freddy, le canapé baroque en velours rouge avale le·la jumelle dégingandée défoncée à l’héro ; sa·son rond·e sœur – pathétique sumotori à implants et prothèses de tissu chair – la·le ressuscite, puis le·la re-tue, en beuglant, après avoir arrosé toute la scène de 30 kilos de cocaïne et fait un petit tour sur le prie-Dieu. Intermède bienvenu dans cette agitation de trans(e) : une petite chorégraphie de film de kung-fu bien sentie, et le temps théâtral suspend son vol.

Joséphine (Lionel Lingelser), jumelle - photo : Darek Szuster.

Joséphine (Lionel Lingelser), jumelle – photo : Darek Szuster.

Et ça repart… Déjanté, subversif, politique, sociologique. Exubérant, décadent, provoquant, dérangeant. Drôle à mourir d’overdose de dégoût. Universel. L’humain dans tout ce qu’il a de plus violent, bestial, et en même temps, d’attachant. Virevoltes stroboscopiques (et dans stroboscopique il y a… ?) entre amour et haine, dépendance et recherche d’émancipation, libération et damnation.

« Putain de merde où est la seringue ? […] La cocaïne m’a attaqué le nerf optique ! La cocaïne m’a attaqué le nerf optiiiiiiiiiiiiiique ! […] Salope, ordure !!! » (43 fois)

Les fausses fesses et culottes de cheval démesurées, le look de Coneheads, les billets de banque, les sacs de poudre blanche, des résidus de chair, un chapelet de boyaux, un pompon rose, des kimonos à fleur cellophanisés façon bouquets de fleur… Les costumes de Christian Lacroix et les maquillages de Véronique Soulier-Nguyen sont dans la même outrance que l’écriture de Copi, la mise en scène de Louis Arene et le jeu des comédiens survoltés.

 

« Girls Just Want To Have Fun », épilogue

Un ballet de corps pour terminer l’escalade après destruction du décor. Nudité de tissu, les sept ne font plus qu’un, dansent ; des soubresauts, la transe, une armée de clones. Et bas les masques !

« Nous sommes vivants ! Réveillez-vous ! » - Photo : Darek Szuster.

« Nous sommes vivants ! Réveillez-vous ! » – Photo : Darek Szuster.

Deux pièces « pétage de plomb » ; écœurement dépassé (ou pas), on en sort joyeusement sonné (ou hagard), en tout cas pas reposé, c’est certain, et avec une foultitude de sensations, de chansons, d’images viscéralement imprimées dans le corps. Et quelques questions sur l’horrible et merveilleuse nature des relations humaines.

 Le site du Munstrum Théâtre

40° sous zéro – L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer & Les quatre jumelles – 2 h.

Écriture de Copi / Mise en scène Louis Arene / Avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Alexandre Éthève, Lionel Lingelser, François Praud / Conception Louis Arene et Lionel Lingelser / Dramaturgie Kevin Keiss / Assistante mise en scène Maëliss le Bricon / Stagiaire mise en scène Mo Dumond / Création costumes Christian Lacroix assisté de Jean-Philippe Pons et Karelle Durand / Scénographie et masques Louis Arene / Création lumières François Menou / Création sonore Jean Thévenin / Création coiffes-maquillages Véronique Soulier-Nguyen / Effets spéciaux Julien Antuori / Regard chorégraphique Yotam Peled / Assistant scénographie / régie générale Valentin Paul / Régie lumière Julien Cocquet / Régie son Ludo Enderlen / Chef d’atelier costumes Lucie Lecarpentier / Costumières Tiphanie Arnaudeau, Hélène Boisgontier, Castille Schwartz / Stagiaires costumes Marnie Langlois, Iris Deve.

 


* Farce : définitions : « La farce est un genre théâtral né au Moyen Âge, qui a pour but de faire rire et qui a souvent des caractéristiques grossières » (in Wikipedia). « Farce, subst. fém., LITT. (THÉÂTRE) : Pièce de théâtre d’inspiration bouffonne mettant en scène des personnages souvent grotesques et présentant généralement un comique de mots, de gestes ou de situation(s). » (in CNRTL, Centre national de ressources textuelles et lexicales – www.cnrtl.fr)

 

 

Envie de réagir ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>