L’autrice américaine Melissa Broder a fait connaître sa voix triste sur Twitter à travers le compte So Sad Today depuis 2012. Après la publication du livre du même nom en 2016, la version française vient d’être publiée; une occasion de faire connaitre son univers personnel impacté par la dépression, l’anxiété et l’humour.

« Je suis née avec deux semaines de retard, parce que je ne voulais pas quitter le ventre maternel. Quand on a fini par m’en expulser, je me suis dit oh mon Dieu, non. Depuis, je cherche à y retourner par tous les moyens. »

Avec So Sad Today Melissa Broder, une trentenaire de Los Angeles, livre un essai autobiographique et très intime, voire difficile à lire selon les sensibilités et les sujets abordés – elle a d’ailleurs demandé à ses parents de ne pas le lire. L’autrice parle sans détour de ses vulnérabilités : la dépression et l’anxiété qu’elle traîne depuis ses jeunes années, son obsession pour la mort, ses troubles du comportement alimentaire, ses addictions passées ou encore présentes à l’alcool, aux drogues, aux médicaments, à Internet, aux relations sexuelles et sentimentales souvent tumultueuses (et un chapitre touchant sur sa relation avec son mari), à la validation des autres, ses craintes de ne pas être une bonne féministe, et même son fétichisme peu courant du vomi (« C’est quelque chose de dégueu, mais c’est quelque chose de vrai »). Elle le fait avec sincérité et une (saine) distance humoristique, mais sans pour autant romantiser ses troubles mentaux et leurs comorbidités, ni se ridiculiser pour faire rire à ses dépens (comme l’évoque si justement Hannah Gadsby dans Nanette).

« Quand j’avais l’impression de mourir, je commençais à poster des tweets anonymes sur un compte que j’avais baptisé @sosadtoday […] C’était peut‐être l’afflux de dopamine au moment d’appuyer sur “Envoyer”, mais j’avais l’impression que les lignes commençaient à bouger, et que j’y voyais plus clair. […] Je commençais à m’extirper de mon anxiété dévorante et de ma dépression, mais j’ai compris une chose : on n’est jamais à court de tristesse susceptible de faire l’objet d’un tweet. »

Melissa Broder a commencé à tweeter anonymement en juillet 2012 sous le nom de @sosadtoday, quand elle était attachée de presse pour la maison d’édition Penguin Random House et inconnue des internets. Elle a révélé son identité en mai 2015 lors d’une entrevue avec le magazine Rolling Stone, un an avant la sortie du livre aux États-Unis. La poétesse compte maintenant plus de 778 000 personnes abonnées à son compte Twitter et incarne publiquement la dépression et l’anxiété d’une génération qui veut briser le tabou de la maladie mentale. So Sad Today n’est pas un personnage mais une part d’elle qui s’exprime pour tenter d’aller mieux, en partageant ses angoisses avec qui veut bien les lire. Là où nombre de personnes voient encore – hélas – le fait de parler publiquement de maladie mentale comme quelque chose de honteux ou de la pleurnicherie nombriliste (« quelques idées archaïques […] selon lesquelles « tout ça, c’est dans ma tête », ou que « j’invente »), elle participe à la libération de la parole à ce sujet en offrant une narration lucide et caustique qui ne laisse pas indifférent·e, pour se sauver et aussi donner de la force pour les personnes qui s’y reconnaîtront.

Melissa Broder est une femme triste mais surtout très créative, qui a également publié d’autres ouvrages comme Last Sext, et la romance aquatique The Pisces qui paraîtra en français en 2020 aux Éditions de l’Olivier. Elle continue de tweeter, écrit régulièrement pour Vice, a créé son podcast « eating alone in my car », et a collaboré avec la photographe Petra Collins pour l’écriture du court-métrage horrifique A love story.

« So Sad Today » de Melissa Broder, traduction française par Clément Ribes paru, aux Éditions de l’Olivier le 24 janvier, 208 pages, 20 euros.
Les tristes tweets sont à lire ici, la version française là. Son podcast « eating alone in my car » est disponible sur iTunes, Podcast Addict et d’autres plateformes. Elle est aussi sur Instagram même si elle déteste ça.