Creed II, inutile et énervant

Après Ryan Coogler sur Creed (2015), c’est Steven Caple Jr qui passe derrière la caméra pour nous présenter Creed II, suite des aventures sur le ring d’Adonis « Donnie » Johnson-Creed, fils d’Apollo Creed, le grand rival puis ami du légendaire Rocky Balboa. Le film nous montre l’affrontement entre Creed et Viktor Drako, le fils du colosse slave Ivan Drako, lequel avait tué sur le ring le papa de Donnie en 1985 dans le (pas terrible) Rocky IV.

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Souffrant clairement de gros problèmes d’écritures, Creed II est une redite embarrassante de thèmes déjà évoqués, et étudiés plus brillamment dans les précédents Rocky. Citons évidemment le très gênant et très littéral rappel à Rocky IV qui, même selon Stallone était déjà une mauvaise idée en 1985. On nous assène aussi le « tu es au sommet, tu n’as plus la gnaque comme avant » (Rocky III, dont Creed II est un décalque creux), suivi du « Pour avoir/regagner la gnaque, tu dois t’entraîner dans cet endroit crade » (Rocky III, un peu IV et Creed), le « La boxe, c’est dangereux, fais gaffe à ta vie de famille » (Rocky II), etc. On s’étonne de voir Stallone (au scénario des six Rocky) crédité ici au scénario, tant le film oscille entre répétition de ses prédécesseurs, et pure incompréhension du mythe de la saga. En regardant le reste de l’équipe de scénaristes, on se demande d’ailleurs s’il ne s’agit pas d’un crédit que pour avoir réécrit certains dialogues (certaines scènes plutôt justes faisant surface au milieu d’un océan de médiocrité).

L’ombre des précédents opus est d’autant plus voyante que ce pauvre Donnie Creed se fait voler chacun de ses triomphes par Rocky, au moyen de très irritants rappels des thèmes de Bill Conti composés pour la saga Rocky, pour marquer les dépassements de son personnage principal. Ces envolées sont d’autant plus urticantes qu’elles ne sont que de petites reprises de tel ou tel motif musical des morceaux de Conti (pour des raisons de droits, ce qui du coup les rend un peu drôles), assez pour évoquer l’original, juste ce qu’il faut pour éviter un procès.

Florian Muntenau et Dolph Lundgren incarnent Viktor et Ivan Drako

Florian Muntenau et Dolph Lundgren incarnent Viktor et Ivan Drako.

Les Drakos père et fils, qui vivent dans une certaine misère en Ukraine depuis qu’Ivan a chu de son piédestal, ont en fait un arc narratif beaucoup plus intéressant. Drako père ne s’est jamais remis de sa défaite, ses entraîneurs et soutiens au gouvernement l’ont abandonné, sa femme l’a quitté, et il a passé sa vie à entraîner son fils Vicktor en pensant à sa revanche. Le raté, sur qui personne ne parierait, c’était Rocky dans le premier film, et dans Creed II, c’est Viktor, que l’on voit moins de trente minutes à l’écran et qui a trois lignes de dialogue. Donnie, pour qui nous sommes censés sympathiser… représente exactement son père Apollo dans les deux premiers Rocky, soit l’antagoniste.

Cet aspect de Donnie étant déjà dérangeant dans Creed (après quelques séjours en détention juvénile, il était pris sous l’aile de Mrs. Creed, et a donc vécu sa jeunesse dans l’opulence de feu son père), mais le film était sauvé par la réalisation et les dialogues de Ryan Coogler, et la formidable performance de Michael B. Jordan. Ici, il semble que l’auteur n’ait compris ni les films Rocky ni Creed, sur lequel il devrait appuyer son travail pour en transcender le matériau, au lieu de se prendre les pieds dedans.

Tessa Thompson et Michael B. Jordan en Bianca et Donnie

Tessa Thompson et Michael B. Jordan en Bianca et Donnie

Enfin, niveau réalisation, c’est assez insipide. Avec pourtant 15 millions de plus que son grand frère, Creed II accomplit moins, narrativement, thématiquement et visuellement. Steven Caple livre un long-métrage à la réalisation compétente mais au manque d’ambition flagrant. Les scènes de boxe (normalement le cœur du film) souffrent d’un montage trop haché, qui rend l’action beaucoup moins impressionnante. On insiste sur les « coups qui vont faire mal » par d’insupportables ralentis qui nous font immédiatement sortir du film, ce qu’il suffit de simplement montrer, on le sur-explique par un montage absurde. Au lieu de faire confiance au spectateur pour comprendre ce qu’on lui montre, on lui impose une caméra qui sur-signifie chaque élément du film, ce qui nuit terriblement à l’implication émotionnelle.

On peut qu’espérer qu’il ne s’agisse que d’un faux-pas dans la carrière de Caple (dont c’est le premier gros budget, donc le premier projet avec le studio sur le dos), toujours est-il que Creed II n’est pas un bon film. Comment pourrait-il en être autrement, alors qu’on refuse à la jeune saga Creed toute individualité ? Trébuchant systématiquement dans le tapis d’un mythe vieux de plus de quarante ans à présent, Creed II passe à côté de tout ce qui faisait la saveur de ses aînés. Nourris de la vie de Stallone, les 6 Rocky sont des films hautement intimes et personnels pour leur scénariste. Tenter de reproduire une telle symbiose entre un auteur et son personnage à des fins uniquement pécuniaires était forcément voué à un échec retentissant. Le plus grand drame est, hélas, que nous risquons de subir encore de nombreuses suites dévitalisées comme celle-ci car, comme le chante Tessa Thompson dans le film : « It doesn’t make sense, but it makes money ».

Creed II, film de Steven Caple Jr,  avec Michael B. Jordan, Tessa Thompson, Sylvester Stallone.

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