« Bandersnatch » est une créature créée par Lewis Carroll en 1872 dans De l’autre côté du miroir, la suite des Aventures d’Alice au pays des merveilles. C’est aussi le nom d’un épisode inédit de la série d’anthologie Black Mirror, créée par Charlie Brooker, sorti exclusivement sur Netflix le 28 décembre. Il a la particularité d’être interactif, une première dans le genre. Petit aperçu sans (trop) de spoilers de cette expérience intrigante.
En juillet 1984, le jeune programmateur Stefan Butler travaille sur l’adaptation en jeu vidéo du livre Bandersnatch de Jerome F. Davies (auteur fictif interprété par le réel concepteur de jeu vidéos Jeff Minter), de la collection de livres interactifs Choose Your Own Adventure (« choisissez votre aventure »). Ce projet ambitieux doit être publié pour Noël par la société Tuckersoft, dirigée par Mohan Thakur, qui emploie également Colin Ritman, un concepteur que Stefan admire. À partir de là tout est une question de « mauvais choix » ou pas, au gré des décisions de la personne qui regarde l’épisode sur Netflix, ce qui offre pas moins de cinq fins possibles avec des variantes. Stefan va concevoir (plus ou moins difficilement) son jeu (ou pas) pour le faire publier à Noël (ou pas) avec le succès espéré (ou pas), accompagné de son père, sa psychiatre, le traumatisme de la perte de sa mère et les effets secondaires de l’univers du bouquin, qui avaient déjà précipité son auteur dans la paranoïa et l’assassinat de sa femme.
Cet épisode, commandé par Netflix et annoncé en octobre dans la presse, avait suscité l’enthousiasme mais aussi quelques doutes. D’abord, que les néophytes du jeu vidéo se rassurent, Black Mirror : Bandersnatch est très facile à manier. À certains moments il faudra cliquer pour choisir entre deux options, en dix secondes maximum, sinon un choix est fait (l’épisode ne se retrouve pas figé comme dans un point and click), d’abord pour le bol de céréales du matin et la bande-son du trajet en bus, puis des décisions vraiment conséquentes. Il n’y a pas de sauvegarde à faire et il est possible de redémarrer l’épisode à tout moment. Toutes les réponses sont « bonnes » puisqu’il est aussi proposé de revenir sur ses décisions et qu’il n’y a au final aucune solution unique à l’intrigue de base – mais nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher la découverte. Pour le reste, comme à l’habitude beaucoup de références à d’autres épisodes de Black Mirror sont disséminées plus ou moins visiblement, comme la sinistre glyphe de « White Bear » symbolisant ici le casse-tête perpétuel du choix à faire entre deux options par Stefan, tant pour l’écriture de son jeu que ses actions quotidiennes (et les choix à faire par la personne qui regarde l’épisode). Colin Ritman est une version peroxydée à la Billy Idol (et sa compagne, Kitty, ressemble évidemment à Perri Lister) du lapin blanc de Lewis Carroll ou de Matrix, qui pousse Stefan à poursuivre l’aventure le plus loin possible, dont un voyage psychédélique façon Jefferson Airplane à faire absolument.
Mais c’est au final un épisode très (trop ?) méta, dont l’intérêt se situe davantage dans la forme que le propos, et assez prévisible voire un peu lourd sur le simulacre et les limites du libre arbitre. Le dispositif interactif peut décourager surtout quand on n’a pas l’habitude de ce type de jeux vidéo et qu’on préfère se laisser porter par l’intrigue d’une série ou film habituel. Pour les personnes curieuses et/ou pas assez patientes, un schéma de toutes les options possibles circule sur le net, tel un cheat code pour (re)trouver facilement les narrations et résolutions recherchées. Néanmoins ce Bandersnatch reste une expérience à tenter, dans un univers familier aux habitué•e•s de la série et que l’on sent personnel pour Brooker dans l’esthétique et les thèmes abordés.
Et si vous avez envie d’une autre aventure interactive, cette fois pour se préparer à l’apéro ou le dîner après ces heures passées devant un écran : Le guide des vins dont vous êtes le héros d’Antonin Iommi-Amunategui.
« Black Mirror : Bandersnatch », écrit par Charlie Brooker et réalisé par David Slade, est disponible sur Netflix. Durée estimée à 1h30, tout dépend des choix que vous ferez pour explorer les choix possibles (pour la préparation de cet article c’était plutôt 3h). La cinquième saison arrive prochainement sur la même plateforme, et la précédente y est disponible.