Le duo Winter Family aime la scène par le truchement des mots, de la musique ou encore des images. Sur les planches des théâtres et dans l’enceinte de salles de concert. Cette fois, ils ont investi l’Aire Libre pour présenter Hébron H2 dans le cadre du festival TNB. Une immersion visuelle, sonore et historique dans l’artère principale de la ville la plus peuplée de Cisjordanie. Nécessaire et oppressant !
L’attente. Le public se serre dans un sas contigu à un escalier. Une détonation. Une femme menue vêtue d’une ample blouse. Ruth Rosenthal, moitié du duo Winter Family, ouvre les portes avec un « bienvenue » factuel et conduit les arrivants jusqu’à la salle. Les deux gradins bi-frontaux sont disposés face à une longue et large table drapée de noir et flanquée d’une maquette oblongue en construction. Espace de circulation exigüe qui favorise une proximité totale avec la comédienne. Elle est la guide. Celle qui introduit et lance derechef un vibrant « toutes les colonies me font chier ! » Elle récite davantage qu’elle ne raconte la vie à Shuhada Street rue centrale de « H2 » zone administrée par Israël dans la ville palestinienne d’Hébron et habitée par des colons juifs.
L’artiste israélienne Ruth Rosenthal et le musicien français Xavier Klaine se sont rencontrés à Jaffa en 2004 – ils ont créé le groupe Winter Family. Avec Hébron H2, pièce documentaire sonore et politique, ils interrogent la manipulation des individus, la colonisation israélienne et la vie des Palestiniens sous l’occupation militaire. Le public s’intègre dans la mise en scène à la faveur de lecture, offrandes, goûter, etc. D’altercations également. Ruth Rosenthal l’interroge, le sollicite et plante son regard bleu foudre dans la foule silencieuse. Pour mieux la plonger dans un climat oppressant, celui d’une guerre sans fin. La comédienne se glisse dans la peau d’habitants d’Hébron sans pause dans le débit. Le propos n’est pas tant la compréhension que l’immersion radicale. Elle ânonne une sombre litanie du quotidien, celle des exactions, des maisons murées, des cadavres lors du massacre du Tombeau des patriarches à l’initiative du médecin maudit Baruch Kappel Goldstei.
À mesure d’un monologue touffu dans son flot d’informations, abrupte dans son enchaînement, vertigineux dans son réalisme, la jeune femme construit sa maquette sur le chemin de croix de Shuhada Street qui s’achève par un cercueil dans cette Hébron auparavant « aussi douce que les 1001 nuits ». La vieille ville devenue tombeau à ciel ouvert à l’image de l’adolescent Muhammad al-Zaru renversé par un militaire israélien près de la mosquée Ibrahimi. Le débit de Ruth Rosenthal prend la pause le temps de la projection d’un travelling avant le long d’H2 aux maisons closes. Puis, le son ambiant d’abord étouffé, enfle au fil des ultimes témoignages et explose in fine dans la brume dispersée par des machines à fumée sous la table et une atmosphère soudain surchauffée par des chauffages disposés au-dessus du public . Une explosion. Un cri. Fin de la visite. La tension est montée par strates. Ci-gît la maquette achevée du conflit israélo-palestinien. Le dispositif du conditionnement sonore du récit laisse le public sur le carreau. Comme sonné. Winter family ont réussi leur projet. Dans l’attente de les (re)voir sur scène en avril à Mythos. Avec des chansons de leur dernier album, l’hypnotique South From Here, murmurées en anglais, français et hébreu. Sonorité et politique. Toujours.