Une première création au TNB depuis qu’il en est le directeur ! Arthur Nauzyciel était attendu en cette rentrée pour la mise en scène d’un classique des classiques : La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils. Une représentation sobre et délicate, à la limite frileuse…
C’était un roman paru en 1848, puis rapidement une pièce de théâtre. L’histoire d’un drame amoureux entre Armand Duval, jeune bourgeois, et Marguerite Gautier, courtisane. Par un obscur procédé qui consiste à voir dans le 19e siècle toute la matrice de notre époque, la Dame aux camélias devient peu à peu l’incarnation du corps féminin nié et bafoué. Du reste, faire du texte de Dumas un traité féministe avant la lettre est une chose courante. On s’y attendait sur les planches du TNB. Pourtant, Nauzyciel n’a pas (ou peu) exploité ce ressort évident ; choix qu’on pourrait dire judicieux, tant il parvient à dépasser et généraliser des problématiques plus profondes telles que la monétisation des rapports amoureux ou le poids de la norme.
Le texte originel de Dumas possédait déjà une architecture complexe, mêlant au récit du narrateur le récit rapporté du protagoniste lui-même, à savoir Armand Duval, à quoi l’on pourrait rajouter les lettres de Marguerite Gautier. Arthur Nauzyciel parvient, à travers notamment un dispositif scénique complexe constitué d’une série de rideaux et d’écrans de cinémas, à exploiter à merveille cette polyphonie et mieux, à brouiller parfaitement les limites temporelles du récit, faisant alors de l’amour une expérience limite faite de passions, de regrets, de fantasmes et de fantômes.
Marie-Sophie Ferdane, qui incarne la Dame aux camélias, occupe littéralement l’espace. C’est bel et bien son corps qui est montré, un corps exploité ; la pièce s’ouvre et se referme d’ailleurs sur ce dénuement physique, cet effeuillage, ce fanage. Si l’on peut se demander ce qu’apporte véritablement l’appareil cinématographique, si ce n’est un hors-champ, on se félicitera de l’aspect chorégraphique, superbe, exprimant avec beaucoup d’émotion la lutte qui voit les amants se faire et se défaire.
Car l’amour est une lutte, dans la pièce de Nauzyciel. Ce que la société bourgeoise semble avoir créé et perpétué, c’est aussi, au-delà de la domination des hommes sur les femmes, l’échange amoureux. Échange considéré ici dans sa signification monétaire. Les dialogues sont creux ; et en creux de ces dialogues gît précisément ce seul message : la volonté de dominer l’autre.
La Dame aux camélias, mise en scène par Arthur Nauzyciel, TNB, avec Marie-Sophie Ferdane, Hedi Zada, Océane Caïraty…