« Spaghetti Wars », guerres et légumes tranchés

Le petit nouveau de la maison d’édition parisienne Nouriturfu s’appelle Spaghetti Wars et il sort ce vendredi 14 septembre. Il a été concocté par Tommaso Melilli, cuisinier italien « hipster » installé à Paris depuis 2009, qui manie aussi bien le verbe que les fourneaux. Un essai personnel, documenté et intelligent, sur la cuisine actuelle, les personnes qui la font et celles qui la mangent.

 

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« Pour info, la carbonara n’est pas douce : il y a plein de jaune d’œuf cru, puis il y a un fromage qu’on appelle pecorino romano, qui est très salé et piquant, quasi immangeable en morceaux entiers ; puis il y a une charcuterie qui est faite avec la joue et la bajoue du cochon.  […] elle est noyée dans le sel, séchée, et enfin c’est frit. Et puis, vous savez pourquoi ça s’appelle carbonara ? Parce qu’il y a tellement de poivre qu’on dirait que c’est du charbon. En fait, les vraies pâtes carbo c’est un plat de bouchers alcooliques des banlieues romaines des années 50, au palais brisé par trente ans de clopes sans filtre et de vin rouge tiède tendant au vinaigre. Si je vous fais goûter la vraie carbonara, la plupart d’entre vous aura un infarctus à la moitié de l’assiette. […] Cette hystérie collective autour de la vraie recette de la carbonara n’a fait que révéler quelque chose que tout le monde savait déjà, mais qu’on ne voulait pas voir : jusqu’à il y a très peu de temps nous n’avions pas la moindre idée de ce que mange le reste de l’humanité. […] Mais, un jour, la bouffe a brusquement pris place dans la culture pop, et toutes ces petites anecdotes sont devenues beaucoup plus importantes. »

 

La bouffe est probablement un des sujets de conversation les plus incontournables en France, ainsi qu’en Italie – et plein d’autres pays encore. Entre les émissions télé, bouquins, ateliers, une multitude de restaus et bistrots selon les goûts et les budgets, sans compter les traditions, légendes et les habitudes familiales, elle est devenue un sujet d’intérêt populaire voire branché, et ne s’apprend pas forcément qu’à l’école pour être réservée à la luxueuse gastronomie (d’où l’émergence de la bistronomie).

Tommaso Melilli est d’ailleurs un autodidacte, qui a d’abord fait ses armes dans la cuisine parentale pour faire la paix avec les légumes, puis dans diverses cuisines parisiennes pour gagner sa vie. Il aime son boulot même s’il est fatigant, entre les cadences de travail, les humeurs de la la clientèle parfois malpolie (le chapitre « Tomato » est édifiant dans le genre, mais raconté avec un délicieux sugo de cynisme) ou la rédaction de l’ardoise du jour parfois sportive. Il aime aussi le raconter, partager ses recettes et comment il les élabore, des éléments d’histoire culinaire, de littérature et de révolution, « la montée au pouvoir des domestiques [qui sont] tout de même en train de casser des œufs et remplir des carafes ». La bouffe a même un responsabilité politique, comme le couscous « une super idée de société », et de nourrir selon nos besoins les plus personnels (le chapitre « Nous ne sommes pas ce que nous mangeons »).

Ce livre est une déclaration d’amour et de guerre, pour continuer à aimer cuisiner et manger, au gré des tendances, qui vous donnera faim.

 « Je pensais être cuisinier. Je pensais avoir juste eu la chance de choisir un métier beau, vieux et simple, et de l’avoir fait au moment même où ce métier devenait cool et intéressant aux yeux de tout le monde. Je pensais être cuisinier et j’ai découvert que j’étais un des nombreux soldats d’une guerre sans quartier ni tranchée ; une guerre invisible, qui oppose des troupes minuscules, inconscientes et désorganisées, qui se battent tous les jours sur plusieurs fronts sans savoir vraiment pour qui et ce qu’il y a, éventuellement, à gagner. Je suis en cuisine tous les jours, je fais à manger et je mange. Je ne sais pas où on va, mais je sais que je vais continuer à me battre. Je vais continuer parce que c’est mon métier, et j’adore ça, même si je ne veux pas gagner. Et si je dois rester dans ces tranchées imaginaires de légumes bio et de sauces piquantes, peut-être que ça vaut le coup de raconter ce qui s’y passe tous les jours. »

Quand il ne cuisine pas Tommaso Melilli tient une rubrique hebdomadaire sur Slate, à propos de recettes et des personnes qui les mangent.

 

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À lire également, dans la même collection « Le Poing sur la table » (comme Faiminisme de Nora Bouazzouni), Bouffes Bluffantes de Nicolas Kayser-Bril, journaliste et apprenti cuisinier, qui retrace une histoire politique et culinaire via des anecdotes brisant quelques mythes autour du fromage, du café ou de la notion de plats régionaux (souvenez-vous du couscous raconté par Tommaso Melilli).

 

Tommaso Melilli, Spaghetti Wars – Journal du front des identités culinaires, éditions Nouriturfu, 144 pages, 14 €, en librairie le 14 septembre 2018
Nicolas Kayser-Bril, Bouffes bluffantes – La véritable histoire de la nourriture, de la préhistoire au kebab, éditions Nouriturfu, 120 pages, 14 €, paru le 15 mai 2018

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