L’Île des pluies, un roman à plusieurs voix de Marc Gontard qui brosse les contours d’une communauté îlienne, dans un cadre resserré propice aux exacerbations pas seulement climatiques.
Équipée de son portable Toshiba et de son reflex Nikon D500, Stella, une photographe « un peu chanteuse de reggae façon Juddy Mowatt« , s’installe sur une île de 250 habitants, pour la plupart pêcheurs. Elle a acheté la maison de Sterenn Conan, l’ancienne directrice de l’école publique de l’île qui a quitté l’île après que sa maison a flambé. Jean Le Meur, le patron du chalutier le Mor-braz, l’épaule dans son emménagement. Gwendal, le fils de Jean, lorgne sur la belle reporter.
Le maire Bennoni Pennec dit « Ben » ne voit pas forcément cette installation d’un bon œil. Il faut dire que si Ben n’a rien contre les magouilles qui profitent à son portefeuille, il est par contre d’emblée suspicieux vis-à-vis de tout ce qui est étranger, métissé, basané ou originaire du Sénégal. Pour résumer, Ben croit aux discours sur « l’identité nationale » professés par le Rassemblement patriote, un parti plutôt très à droite sur l’échiquier politique.
Des morts accidentelles ou sordides vont bientôt tendre l’atmosphère : Gourvenn, le marin qui n’aime pas les « bougnoules », Malik, le matelot musulman venu de Casamance qui n’était pas insensible aux charmes de Sterenn, Louisa, dont les nuits étaient peuplées de cauchemars…
Sur l’île, dans les environs de Beg diaoul, la Pointe du diable, il y a des vieilles histoires qui hantent les mémoires. Il suffira de pas grand-chose pour que ces fantômes du passé ressurgissent, quand l’heure de la vengeance aura sonné.
« Lorsque les pluies arrivent, et que tout ce beau monde a regagné le continent, je me dis il faut quand même que je parle à mon père. Un soir, il arrive de mer avec deux ailes de raie. Tu me les feras au beurre noir… N’oublie pas les câpres ! Il s’assoit à table. Débouche une bouteille de vin. Je lui dis, papa, il y a quelqu’un qui voudrait bien m’épouser. Il me regarde, étonné. Qui donc ? Gourvenn. Quoi ? ce bugul qui n’a même pas un bateau à lui… Tu as vu sa famille ? C’étaient des gardiens de vaches qui ont toujours vécu dans une étable. Même pas des pêcheurs. » pages 76-77
Avec un art du portrait maîtrisé dans ce roman pluriel L’Île des pluies, Marc Gontard dépeint un monde îlien, âpre, balayé par les vents contraires de l’Histoire, traversé par des forces antagonistes, irrigué par des amours pas toujours heureuses et des violences pas toujours impardonnables.
5 questions adressées à Marc Gontard
- De quels microcosmes îliens vous êtes-vous inspiré pour L’Île des pluies ?
Je me suis inspiré d’îles que je connais bien depuis mon enfance ! en particulier l’île de Houat, à une demi-heure de Quiberon où je réside. Je m’y rends assez souvent et j’y ai mes habitudes de pêche… J’ai simplement changé quelques noms de lieu et brouillé quelques patronymes car on est dans le cadre d’une fiction. Mais la topographie de l’île est en tous points exacte. J’espère qu’on y retrouve sa beauté sauvage, un peu dévoyée par l’afflux des touristes en saison. Et la fierté de la population locale qui, pendant longtemps, s’est méfiée de ceux du continent. Mon attachement à ce paysage et à ses habitants m’a donné l’idée de faire de ce microcosme une métaphore de ce que nous vivons à grande échelle en France et en Europe : le repli identitaire, la peur de l’étranger, la fermeture des frontières… une idéologie mortifère qui n’a pas compris que l’ouverture à l’autre est la condition même de notre être-au-monde et que le métissage est depuis toujours au cœur de l’identité.
- Vous semblez bien connaître le monde de la pêche. Vous fréquentez beaucoup de vieux loups de mer ?
J’appartiens à une famille de pêcheurs. Mon père a été l’un des jeunes patrons de Quiberon avant de s’embarquer au long-cours. J’ai un gendre qui est propriétaire d’un douze mètres en acier et j’ai moi-même, lorsque j’étais maître de conférences à Rennes 2, fait une saison à bord d’un chalutier, et plusieurs autres, à la pêche à la dorade, sur un ligneur. J’ai toujours eu un bateau, d’abord voilier de croisière puis vedette de pêche. C’est une de mes passions qui m’occupe de mars à janvier. Dans le domaine de l’écriture, je trouve que notre littérature est surtout urbaine et rurale. Le monde de la mer s’y retrouve assez peu, alors que nous sommes entourés d’eau… J’essaie dans mes romans de rendre compte des métiers de la mer, pas ceux des performances et des exploits de nos skippers dont j’admire par ailleurs les performances, mais ceux dont l’exploit est de se lever chaque matin pour tenter, quel que soit le temps, de « gagner leur croûte »…
- Ce doit faire un drôle d’effet d’être publié par un ancien élève. L’enseignement dans son sillage réserve beaucoup de surprises de cette taille ?
Ici, les rôles sont inversés ! C’est Jean-Marie Goater qui évalue et qui décide ou non de publier… J’aime beaucoup le sérieux de son travail. Ce n’est pas évident, même avec un bagage littéraire, de se lancer dans une entreprise comme l’édition de textes de fictions, sur un marché très concurrentiel, formaté par les médias parisiens. Jean-Marie a monté son entreprise comme un amoureux des Lettres, mais aussi en vrai professionnel. Le soin qu’il met à la production de ses livres ne se retrouve pas toujours chez les « grands » éditeurs. C’est pourquoi, aujourd’hui, c’est moi qui lui suis redevable et si sa passion pour la littérature et pour les livres lui est venue de son passage à Rennes 2, comme c’est aussi le cas pour une autre romancière bretonne, Fabienne Juhel, alors nous n’avons pas œuvré en vain !
- Quel regard portez-vous, en tant qu’ex-président de l’université de Rennes 2, sur les mouvements étudiants de contestation face à la réforme en cours avec Parcoursup qui défraie la chronique ?
Difficile pour moi de m’exprimer sur ce sujet, bien que je continue à présider des comités d’évaluation dans le cadre du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Cette année je me suis occupé de l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle dont j’achève actuellement le rapport et le mois prochain je pars au Sénégal pour une autre mission de ce type. Pour en revenir à votre question et à Rennes 2, et pour vous répondre sans langue de bois, j’ai trouvé que les blocages, ce printemps, étaient surdéterminés par rapport à l’objet de la contestation. Les militants étudiants ont vu de la sélection là où il n’y avait qu’une volonté d’orientation. La grève a donc aussitôt pris un tour politique et comme toujours à Rennes 2 (je connais bien le scénario) les « totos » (aujourd’hui zadistes) ont imprimé leur marque libertaire sur le mouvement. Sans doute la réforme a-t-elle été mal préparée. Elle s’est faite dans la précipitation, sans tenir compte des problèmes matériels que Parcoursup entrainait pour les profs comme pour les étudiants. Mais il faudrait qu’un jour on ait le courage de regarder la vérité en face. Je suis pour une université sociale et démocratique, ouverte à tous les bacheliers dont c’est souvent la seule possibilité de poursuite d’études. Cependant comment admettre une sélection insidieuse, aussi impitoyable que celle qui fait chuter plus de 50 % des étudiants en première année ? Alors une meilleure orientation des bacheliers, même mal ficelée, c’est quand même une réforme qui va dans le bon sens…
- Un coup de cœur culturel à partager avec les lecteurs·trices de L’Imprimerie Nocturne ?
Je vais sans doute vous décevoir ! J’adore Virginie Despentes et sa grande fresque, Vernon Subutex, dont le troisième tome est paru cette année. Je la lis avec le même plaisir que j’avais à lire Michel Houellebecq… Un grand coup de pied dans les écritures trop lisses pour jurys de prix littéraires.
L’Île des pluies, roman de Marc Gontard, éditions Goater, Rennes, coll. « La Société des Gens », 2018, 256 pages, 18 €.
PS1 : L’Imprimerie Nocturne n’a rien contre Virginie Despentes et ses grandes fresques… ni contre les zadistes d’ailleurs.
PS2 : On s’interroge encore sur les liens occultes qui existeraient entre le titre de ce roman de Marc Gontard L’Île des pluies, et le thème de La Revue #4 de L’Imprimerie Nocturne consacrée à… la pluie en été.