Et de 15 ! La Revue de seize fête son 15e épisode consacré à la scène rap française (au début on avait l’ambition d’être internationaux mais on est pas assez tentaculaires). Avec toujours un goût prononcé pour la scène indé, voilà les giboulées de punchlines de ce mois de mars, et les événements incontournables du moment sur Rennes : Urbaines et Dooinit. Can you Kick it ?
« Je n’compte plus le nombre d’appels à la paix qu’j'ai passés
J’sais pas si cette garce fait sa star mais elle me répond jamais »
[Appel à la paix] Scylla
Ça vient de sortir ///
- Brav – Nous sommes
Voilà le retour de Brav, rappeur qui évolue du côté du Havre et qui travaille depuis de nombreuses années avec le label Din Record, qui produit notamment Médine. Son nouvel album, intitulé « Nous Sommes », s’intéresse aux relations entre les gens, aux relations entre les gens et la technologie aussi. Ça semble bateau, mais quand c’est réfléchi et bien écrit ça passe plutôt bien, en plus de faire cogiter. À noter d’ailleurs que le rapport qu’on a à la technologie est un thème récurrent ce mois-ci. La formule de Brav consiste en une belle plume, un fond sincère, et un rap singulier qui le dénotent des autres rappeurs. Le très bon morceau « bouchées double » est comme une ouverture sur le personnage de Brav, « c’est le genre de musique sur laquelle tu sais que je vais rapper longtemps ». C’est son attachement au rap et le soutien du public qui est mis en avant, et c’est cette profonde sincérité qui fait le charme de l’artiste. Le titre fait aussi le lien avec ce rapport qu’on a avec les écrans, « à l’heure où les ordinateurs gèrent nos relations humaines ». Le titre du même nom que l’album, « nous sommes », demande pourquoi certains mots sont finalement si compliqués à dire aux personnes à qui l’on tient. Sujet sensible, « avoir du cœur ne suffit pas, il faudrait s’en servir », avant qu’il ne soit trop tard. Si c’était aussi simple, le sujet n’inspirerait pas toutes ces réflexions, c’est aussi ce qui fait tout le paradoxe de la nature humaine. C’est un morceau qui est aussi une sorte d’hommage à un public qui l’a soutenu année après année et qui a permis la réalisation de cet album, grâce à la plateforme de soutiens Ullule. Comme quoi le numérique n’a pas que du mauvais. S’en suit un titre sur ces youtubeurs qui ne se cesse de se multiplier, pour le meilleur et pour le pire. Brav nous pond un clip bourré d’ironie et de dérision avec le titre « Faire des vues », encore une fois agréablement mis en scène. Il met cette fois le doigt sur le côté narcissique d’une génération pour qui la reconnaissance passe justement par « le nombre de vue », avec toutes les questions que cela pose. Mais l’un des titres les plus percutants de l’album, surtout du fait de son clip, est « vouloir la paix », qui, pour ceux qui ont vu la série dystopique Black Mirror, rappellera à coup sûr l’un des épisodes. Il est donc recommandé de regarder le clip, d’autant qu’il y a un bel effort dans la mise en scène et dans la réalisation. Pour faire court, le titre traite de l’abrutissement pur et simple des amateurs de télé-réalité, des dérives que cela entraine sur les comportements des gens et de fait de leur rapport aux autres. C’est une courte présentation d’un album qui mérite d’être écouté, le fond est bon, la forme aussi. On verra ce que l’avenir réserve à Brav, avec de la chance on le verra en tournée sous peu. Wait & see.
- Zippo – Zippo contre les robots
Le rappeur Zippo, actif depuis quelques années au sein du groupe le Pakkt du côté de Nice, nous revient avec un nouveau projet de 15 titres. Il semble avoir pris le temps de cogiter sur le monde qui l’entoure et de mettre en ordre ses idées, et il y aurait beaucoup à dire sur cet album. Le premier titre, « Nœud de cravate », fait office d’une parfaite introduction. C’est en quelque sorte le schéma d’une vie terne et résignée, que l’on dédie aux autres en s’oubliant. Rien de noble là-dedans, juste de la tristesse teintée d’amertume. Mais le fruit de cette réflexion s’est cristallisé autour d’un thème principal : notre rapport à la technologie. Le titre de l’album, Zippo contre les robots, parle de lui-même. Les robots, les maux de ce siècle qui file à toute allure, qui inquiètent et qui fascinent. En fait, Zippo ne semble pas se faire trop d’illusions quant à l’avenir. On dirait d’ailleurs que « le dernier cri » de l’Homo Sapiens appelle dans un chœur hypnotisant l’Homo Deus. Pas d’inquiétudes, quand la technologie et l’être humain se mêlent tout est possible, après tout « l’éthique on lui pisse dessus bientôt plus besoin de mourir ». Bien sûr, la pieuvre « Google » qui a su se rendre si indispensable dans nos quotidiens en prend aussi pour son grade. Mais peut-être qu’on voit le mal partout après tout, alors contentons-nous de nous réjouir car « voilà le temps du google miracle ». Fini la spiritualité, maintenant c’est le dieu Google qui répond à toutes nos attentes. Avec le titre « I-monde », l’un des plus marquants de l’album, Zippo se lance dans une diatribe de six minutes contre la passivité de la masse et cette technologie toujours plus intrusive. Un gros morceau qui fait toujours réfléchir. Côté production musicale, c’est un autre membre du Pakkt, le PDG, qui s’occupe de la majeure partie des titres. Beat lourd et lent, aux allures parfois futuristes, le tout agrémenté de trap doucement dosée. De ce côté-là non plus rien à reprocher, les instrumentales collent parfaitement au thème de l’album. Il se finit malgré tout sur une très légère note positive avec le titre « Étincelle ». Une petite flamme, entretenue par ceux qui ne se sont pas encore totalement abandonnés aux technologies. Au fond, plus qu’une guerre contre les robots, c’est surtout contre le fatalisme et la complaisance des gens vis-à-vis de cette technologie débridée que Zippo semble vouloir se battre. En bref, une belle sortie à écouter, des textes qui parleront à tous, mais qui feront peut-être stresser un peu l’esprit. Ou le robot qui est en vous.
- Big Budha Cheez – Épicerie Coréenne
Après avoir traité de sujets préoccupants de notre époque, un petit retour aux sources s’opère avec le groupe Big Budha Cheez. Composé du rappeur Prince Waly et du beatmaker Fiasko Proximo, le duo renoue avec les vibes old school des années 90. Et ça fait du bien ! Originaires de Montreuil, les deux compères reviennent donc avec l’album Épicerie Coréenne et assument un style travaillé sans oublier d’y rajouter une bonne dose de dérision. Rien que le nom du groupe, qui, pour les connaisseurs, fait référence à une plante qui amène bien des débats, est à prendre avec ironie. Mais ce qui compose la structure de l’album c’est surtout le cinéma. On retrouve beaucoup d’inspirations directement tirées des films américains traitant de la vie dans la rue, du genre « Menace 2 Society » ou « Paid in Full ». Mais les références sont nombreuses et ne s’arrêtes pas à ça, l’ambiance inquiétante du titre « Une balle dans un flingue » pourrait rappeler les bandes-son des films d’Hitchcock par exemple. Le titre « Chez Ace » est quant à lui une sorte de trip ou Prince Waly s’imagine dans un film, entre imaginaire et réalité. Si la musique ne suffit pas, les clips sont une bonne façon de mieux saisir leur univers. Qu’il s’agisse de « Murphy Dog » ou d’ « Epicerie Coréenne », la réalisation parle d’elle même, et c’est propre. Fiasko Proximo signe aussi deux interludes musicale, « Belle Mer » et « Jack n’a qu’un œil », qui sont un vrai régal, toujours avec ce grain résolument rétro. L’album se finit sur le titre « Jennyfer », en featuring avec Oxmo Puccino à qui les deux artistes semblent avoir tapé dans l’oeil. Du cinéma, une atmosphère qui sent bon les années 90, voilà ce qui compose le fil rouge de l’album. Le rap tranquille et nonchalant de Prince Waly combiné aux prods à l’ancienne de Fiasko Proximo font de Big Budha Cheez un projet plutôt atypique vu ce qui se fait aujourd’hui. Mais c’est justement ça qui en fait tout son charme !
- Sorg et Napoleon – Chekin Us
Avec l’album « Chekin Us », Sorg et Napoleon Maddox semblent nous confirmer qu’ils se sont bien trouvés. C’est maintenant leur 3ème projet en commun, après les EPs « Ribbon & Razzors » et « Soon », sortis respectivement en 2014 et 2016. Le duo composé du beatmaker français Sorg et du rappeur américain Napoleon Maddox affirment leurs singularités dans le paysage musical avec un projet de 11 titres qui reste dans la même veine que ce qu’ils ont fait précédemment. Ceux qui ont accroché à leur style ne seront pas déçus par celui-là. Le titre clippé « Soon » en featuring avec José Shungu sortie il y a un moment et déjà présent sur l’EP du même nom avait eu l’occasion de faire parler de lui. Globalement le projet est entrainant, et il s’en dégage une bonne énergie. Si ce n’est le titre « complex » en featuring avec Marc Nammour qui accuse égoïsme et arrogance, enfin l’être humain est ce qu’il est on ne le changera pas. Les titres transposent d’une atmosphère à une autre, tantôt légère à l’image de « What’s your Joy » ou « Escape » tantôt dansante avec « Chekin Us » ou « So Magnetic ». Avec une patte qu’on lui connaît bien maintenant, Sorg marie la musique électronique au hip-hop et complète le tout avec les sonorités chaudes de la soul ou du funk. Il faut dire qu’à la base c’est son truc l’électro. Napoleon Maddox quant à lui distille rap et chant avec son timbre de voix chaleureux. À noter aussi le retour de Boogie Bang, avec qui le duo a déjà collaboré, sur la track « Colony Falls ». Soutenu par une basse lourde et accompagné d’un riff entêtant, c’est peut-être le titre de l’album qui sonne le plus hip-hop. L’album se finit avec légèreté sur un remix sympathique d’un titre de Glen Hansart, « Philander », sur un thème qui fait perdre la tête à bien des gens…
- La Confrérie – Enfants Du Rap
Tiens ? Mais c’est La Confrérie qui refait surface ? Le réseau tentaculaire du collectif se ramène comme ça l’air de rien après quelques années de silence. « On a remis le couvert on vient remettre les pieds dans l’plat ». Ok très bien ! Pour faire une rapide présentation, ce qui n’est pas forcément évident vu l’équipe qui gravite autour du groupe, La Confrérie à la base ce sont les rappeurs Roos et Senor El Kalif. Originaires de Rennes, et clairement underground, ils se sont entourés de multiples rappeurs, jusqu’à former pendant un temps le collectif Microclimat avec Sacrof, Shilom et Di6p. Quand on creuse un peu, les collaborations sont très, très nombreuses. Pour cet album, Celas et S.E.K (Senor El Kalif) sont toujours à la prod, et c’est tans mieux. On retrouve l’univers musical des précédents projets, 14 titres dans une continuité qui est tout à leur honneur. Un beat à l’ancienne, du piano, pas du genre à tomber dans la nouvelle vague, mais une maturité dans la façon de traité certains sujets. L’album reste résolument old school, dans le même esprit que ce qui s’est fait précédemment et ça fait toute sa qualité. Le titre « sans frais » traite du rap, mais du rap façon underground, sans attentes particulières, avec ses joies et ses déceptions. Du rap vrai, simple, authentique en somme, « chez nous la richesse est ailleurs, des rimes y’en a des ribambelles », et c’est ce qui fait la force de l’équipe depuis leur début. Le titre « Amour Froid » laisse Senor El Kalif en roue libre, il nous livre sa vision des choses, pas évident, mais sincère et honnête. Le titre « Enfants du Rap » offre une belle entente entre les deux rappeurs, ils jouent avec les mots, « le rap j’suis comme toi j’aime pas quand c’est fade ». Au passage, pensées aux collègues Taf avec « Tohu Bohu » et Sacrof avec « Le Sensé La Rime », eux aussi enfants du rap qui restent actif de leurs côtés. C’est maintenant le tour de Roof de faire son solo, avec « chacun son rôle ». Produit par S.E.F., il est clair que c’est l’expérience qui parle et se sont quelques conseils qui sont distillés ici ou là… L’expérience qui témoigne d’un schéma de vie qui n’est pas toujours évident, mais qui amène à certaines responsabilités… « Madré » reste le plus bel hommage de l’album, dédié à ces mères qui donnent tout sans rien attendre en retour, si ce n’est de demander à leurs enfants d’être heureux. Comme à leurs habitudes, les gars parlent de sentiments sans détour, et c’est ce qu’ils ont sur le cœur qu’ils transposent en rap. Comme les autres projets, difficile de parler de toutes les tracks, mais l’album reste une belle surprise. C’est un projet qui est brut, franc, sortis en toute humilité.
- Scylla – Album fantôme
Un an après Masque de chair, le rappeur belge revient avec un 3e album intitulé sombrement Album fantôme. Non pas que Scylla se prenne d’un coup pour un spectre mais qu’il s’agit d’un disque unique, distribué exclusivement le soir d’un concert à la Cigale qui a eu lieu le 23 février. Un tirage à 1000 exemplaires (qui sera relancé de 500 pour les absents : y en aura p’tet pas pour tout le monde !). Au total 17 titres inédits donc, enregistrés entre 2006 et 2017, dont des featuring avec Furax pour exprimer leurs « Sales tendances » ou encore avec L’Hexaler ou Jeff Le Nerf. Scylla, qui lance vainement un « appel à la paix » continue avec sa voix abrasive de questionner les maux, les siens et ceux d’un monde qui se transformerait en machines. Scylla s’embrouille avec « Jacques a dit » sur une prod de Nizi, Scylla rappe avec son flow unique qui parfois chante, en réponse au piano qui se trouve bien souvent sur son chemin (le travail avec Sofiane Pamart n’y est pas pour rien, rappelant le titre « Le fantôme sous les toits ») ou parfois sur des beats plus classiques. Scylla et une écriture unique, des formes de communication avec lui même et l’extérieur; un dialogue avec le petit Gilles, avec les absents, avec ceux qui viennent, avec le monde qui s’écroule. Le tout jusqu’au mot de la fin. L’écriture c’est peut être quand on commence à parler aux fantômes; Scylla le fait sans problème.
« Il n’est plus de chemin qui ne soit sur Google (…) télécharge Google plus tu seras moins Google seul »
[Google] Zippo
Les Autres Albums [en un clip] ///
Le Tigre – EP // Cinatra – EP // LaCraps - BoomBap 2.0 // Slimka – No Bad Vol. 2 // YL – Confidences // Assy – Kinto // Hippocampe fou – Terminus // Swift Guad Vice & vertu vol.3
« Cherche définition du mot halluciner
Vie à deux, j’quitte pas la maison
T’aimes pas quand j’pars le soir, t’as raison
On n’efface pas les souvenirs à l’éponge »[Press Play] Sopico
Ça va sortir bientôt ///
- 16.03 : 4Keus – La Vie continue
- 16.03 : OBOY – Southside
- 23.03 : LaCraps – BoomBap 2.0
- 23.03 : Rémy – Premier album
- 24.03 : A Point Z – XXIème siècle
- 30.03 : Paco – Amuse-Gueule
- 27.04 : Alkpote – Inferno
- 27.04 : Doc Gynéco – 1000%
- xx.04 : Lucio Bukowski & Mani Deiz – Chansons
- xx.04 : Myth Syzer – Bisous
- xx.xx : C.Sen – Vertiges
- xx.xx : JP Manova – NC
- xx.xx : AL – Punchlife
- XX.XX – Iraka - Livingston
- xx.xx : Nasme – NC
- xx.xx : Fayçal – NC
Le livre : Sample ! aux origines du son par Brice Miclet
Brice Miclet est journaliste musical pour plusieurs médias (Slate, Trax, Les Inrocks, Jack, Ouest France, Guitar Part, Bikini) et il sortait au mois de janvier un ouvrage quasi incontournable pour les amateurs de hip-hop : Sample ! aux origines du son, un ouvrage qui décortique une partie du travail des producteurs, à savoir digger dans les musiques environnantes pour trouver des boucles, des textures, des mélodies, qui colleront ensuite au flow d’un rappeur (ou pas, si le beat reste seul dans son coin, et ça marche aussi). Se penchant sur les samples marquants de l’histoire hip-hop, d’Aznavour à Chopin, de ceux qui sont devenus des classiques à ceux qui se sont fait attaquer pour droits d’auteurs avec des procès retentissants, Brice Miclet signe un livre indispensable pour les amateurs du genre.
Éditions Le mot et le reste – 250 pages – Paru le 18 janvier 2018
Le clip rennais : Layonz et sa définition
Réalisé par Luc Chiefare, le clip « Ma définition » du rappeur rennais Layonz se paie une incursion en forêt pour des images aux rythmes de transe entre bande organisée et haka Maori. « Complication dans les éducations (…) des résolutions qui se propagent ». Un futur anniversaire pour mai 68 dans les sous bois ?
Ça groove sur Rennes
- URBAINES 2018 / Sopico, Take a Mic, Haristone, et Sawyer & Jeune Joueur / 30 mars / Antipode MJC
- Initiation au beatbox avec Furax / 20 mars
- Master Class Loopstation avec Saro / 21 Mars
- The Pharcyde feat Fatlip, SlimKide, K-Natural, DJ Manwell (Bizarre Ride II), Balusk / 22 mars
- WorldWide Cup 2018 – Human Beatbox / 23 mars
- Soirée de Clôture / Juju & Jodash, Batu B2B Simo Cell, Umfang / 24 mars
- Initiation au beatbox avec Furax / 20 mars
- Au 1988 live club
- JEUDI 29/03 : Hoodboyz Party : Dj Sauza x Dj Hoodboyz
- SAMEDI 07/04 : Hoodboyz Party w/ GREMS x Dj Hoodboyz x Pura Pura x Guest
- Désormais incontournable, le festival Dooinit revient du 3 au 8 avril, avec en tête d’affiches M.O.P et Large Pro. Encore une belle programmation qui sera clôturée parc des Hautes Ourmes avec une block party.Ne ratez pas non plus une exposition unique autour du Wu Tang Clan à la Maison Internationale de Rennes. Toutes les infos sur le festival
- À Mythos : pour les nostalgiques du « Cereal Killer », rendez-vous avec les Svinkels le samedi 21 avril au Cabaret Botanique, juste après les nantais Cabadzi.