I’m not a witch, un conte de Rungano Nyoni

I’m not a witch* : la scarification initiatique, le patriarcat, l’esclavagisme, la magie, l’animisme, la corruption de fonctionnaires d’État, le racisme coloriste, l’exploitation des femmes et la misogynie, la sécheresse crainte et l’in·justice populaire, il y a beaucoup de choses vraiment intéressantes développées dans ce premier long-métrage satirique, aussi tragique qu’intelligent, de Rungano Nyoni.

Une petite orpheline sortie de nulle part est désignée comme sorcière par la communauté villageoise. Aussi sec, elle est envoyée dans un « camp de sorcières », sorte de zoo humain infâme où ces femmes disqualifiées font la joie et l’effroi des touristes venus là pour faire des selfies avec les pauvresses.

i-am-not-a-witch-chantsChœur de sorcières accueillant la nouvelle petite pensionnaire (qui rappelle bigrement les cérémonies d’intronisation des nouveaux rédacteurs et des nouvelles rédactrices au sein de L’Imprimerie nocturne)…

Ce conte africain sur l’ostracisme, la vilenie crasse et les procès en sorcellerie est fort bien boutiqué. Il dépeint, toujours avec humour et poésie – vertus que les 47 lecteurs assidus et lectrices avisées de L’Imprimerie nocturne ont nécessairement à la bonne –, comment la bêtise et la superstition concurrencent la domination masculine coutumière et l’ignorance universellement partagée pour briser des vies, ostraciser des boucs-émissaires, lapider quelques malheureuses et garantir une main d’œuvre très bon marché. Car non content d’exploiter ces « sorcières » à des fins touristiques et de valider un corpus de crétinerie mâtiné de méchanceté, ce système carcéral et punitif assez largement dégradant mis en place par le gouvernement, utilise aussi ces bougresses pour travailler dans de vastes plantations. Tant qu’à faire…

i-am-not-a-witch-telBaptisée Shula (« déracinée ») par ses aînées, notre petite sorcière mal-aimée (Margaret Mulubwa) utilise la magie du téléphone mobile pour se connecter à ses pairs…

Un ruban blanc**, que Shula et ses copines portent attaché dans le dos, les relie à une bobine, qu’elles peuvent dérouler à leur guise. Ces « sorcières » sont ainsi clouées au sol, tenues en laisse, reliées au contremaître et aux croyances populaires qui les ont conduites à cette captivité forcée quasi sans issue et les y maintiennent. Sinon elles pourraient s’envoler et multiplier les méfaits.

Évidemment, il s’agit d’un conte… Et on ne remerciera jamais assez le TNB (rue Saint-Hélier) de l’avoir programmé en ce début d’année que l’on vous souhaite irréelle, judicieuse, fantastique, exotique et chamarrée.

* Clin d’œil à un dialogue tordant des Monty Python ? « I’m not a witch! I’m your wife! » (Sacré Graal, 1975) ?

** Clin d’œil au magnifique film éponyme de Michael Haneke (2009) consacré à une communauté allemande protestante, du début du XIXᵉ siècle, dont le rigorisme confine au fascisme ? Pour le savoir, il nous faudra aller interroger la jeune et brillante réalisatrice Rungano Nyoni qui partage sa vie entre le Portugal et la Zambie – ce qui risque de faire exploser le budget de fonctionnement de L’Imprimerie nocturne qui a intérêt à vendre un sacré paquet de revues

I’m not a witch – Film franco-anglo-zambien de Rungano Nyoni – Avec Margaret Mulubwa, Henri B.J. Phiri, Nancy Mulilo… – Nominé pour la Caméra d’or lors de la 70ᵉ édition du Festival de Cannes 2017 et pour la Quinzaine des réalisateurs – Durée : 1h34 – Sortie nationale le 27 décembre 2017.

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