12 jours, de Raymond Depardon

12 jours : un reportage de Raymond Depardon sur des personnes vulnérables et sur ce qu’il convient, d’après la loi, de leur proposer.

 

Non, ce n’est pas le nombre de jours qu’il vous reste à vivre. Ce n’est pas non plus – hélas – le nombre de jours avant qu’Emmanuel Macron ne pose sa démission pour cause d’incompatibilité d’humeur avec ceux qui n’aspirent ni à devenir milliardaires ni à vivre, à perpétuité, sous état d’urgence.

Ces 12 jours, ici, représentent le délai légal pour être présenté devant un juge des libertés et de la détention (JLD), après une hospitalisation à la demande d’un tiers, éventuellement (et en général) contre le gré de la personne – engrenage administratif, judiciaire et médical particulièrement lourd s’il en est, puisqu’il implique des traitements chimiques prolongés et des mesures limitant strictement la liberté de mouvement et nuisant donc de facto considérablement à la qualité de vie des personnes.

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En l’hôpital psychiatrique lyonnais du Vinatier, aux longs couloirs anonymes et feutrés, durant cet automne 2016 brumeux, humide et froid, défilent donc de drôles de « patient·e·s ». Avec l’assistance d’un·e avocat·e, voire également d’un tuteur dans les cas de curatelle, ces hommes et femmes prennent ainsi connaissance, devant un·e juge, de ce qui les attend – ou du protocole décidé plus ou moins sans leur accord et qu’il va leur falloir encaisser pendant encore un petit moment, de 6 mois en 6 mois (durée légale avant de revoir un·e JLD qui statuera de nouveau sur le bien-fondé juridique des précautions prises par la société pour se protéger de ces âmes en peine) . Étant donné le caractère dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres de leur comportement, un diagnostic médical a bien sûr au préalable été établi par des experts (à savoir un collège de psychiatres). Les juges ne sont là que pour s’assurer que les procédures et les droits des patient·e·s sont respectés.

Ces « fous », qui pour certains sont « à lier » ou du moins considérés comme tels, font donc l’objet à leur arrivée de sévères mesures de contention qui se poursuivent pour les cas des malades dits « difficiles », auxquels une unité de traitement est dédiée (avec des chambres d’isolement et des entraves conçues pour immobiliser – on est ici assez loin de thérapies douces et bienveillantes). Certains acceptent leur sort, sans être semble-t-il réellement en mesure de comprendre ce qu’il leur arrive. D’autres admettent ou contestent le verdict énoncé, promettent de faire appel sous dix jours comme la loi les y autorise ou bien reconnaissent que ce recours serait de toute manière voué à l’échec.

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Ces hommes et femmes meurtris ont atterri là suite à des parcours de vie on s’en doute un peu chaotiques et peu privilégiés (prison, exil, violences…). Tentatives de suicides ratées, hétéro-agressions (c’est-à-dire avec autrui pour cible), parricide, burn-out professionnel suite à du harcèlement sur les lieux de travail*, « voix » qui les hantent, regards hagards, élocution compliquée, discours incohérents**, paranoïa et schizophrénie, sont les symptômes les plus apparents de leur inadaptation à ce monde, monde qui n’a d’autre solution à proposer alors que l’enfermement dans des institutions psychiatriques. Ainsi la boucle (de la camisole de force) est-elle bouclée.

Et il est difficile de croire qu’on ne pourrait pas faire mieux. Qu’il n’y a pas d’alternatives, à aucun moment. Les poids de nos dogmes, de nos habitudes – et peut-être aussi celui des lobbies – sont cependant tels qu’on peut se demander d’où viendront les améliorations. Les fous n’ont pas la cote, qu’on se le dise. Dépossédés de leur vitalité, de leur libre-arbitre, ils sont du mauvais côté de la barrière – tandis que les législateurs, les juges et les experts, eux, sont du bon, c’est-à-dire dans le camp des décideurs, des prescripteurs.

L’infiniment triste sort réservé aux « fous » en dit ainsi long sur la manière dont nous construisons notre société. Plutôt que d’interroger les pratiques mêmes de ladite société, parfois largement déraisonnable, on enferme ceux qui posent des problèmes jugés raisonnablement insolubles. Pour le dire autrement, 12 jours interroge notre rapport à la folie ainsi qu’à nos normes, aux failles qui apparaissent béantes et aux moyens, technocratiques et sécuritaires, mis en œuvre pour y pallier. Failles de plus en visibles en conséquences desquelles on ne peut s’empêcher de penser qu’il est plus que temps, pour une société comme la nôtre – qui produit autant de misères, de détresses sociales et autres envies d’en finir – de se remettre vraiment en question si elle ne tient pas à sombrer dans quelque chose de complètement fou.

* Dans ce cas précis, il s’agit d’une frêle employée d’Orange (la boîte de télécommunication connue pour ses méthodes managériales contestables). Face à la détresse de l’employée qui a eu le malheur de flancher, l’employeur a déclenché la procédure d’hospitalisation. 12 infirmiers ont alors ceinturé la pauvre femme. Elle a un peu de mal à s’en remettre. Elle comprend le sort qui est le sien, mais aimerait bien que sa souffrance au travail soit mieux entendue.

** L’une énumère froidement des viols, dont on ne sait pas au juste s’ils sont réels ou le fruit toxique d’une anxiété délirante, pour expliquer une phlébotomie (qu’elle ait voulu se couper les veines en d’autres termes) destinée selon elle à éliminer les énergies mauvaises du violeur. Un autre évoque pêle-mêle la Trinité (dont il est l’avatar), le parti politique qu’il va créer sitôt sorti de l’hôpital psychiatrique et d’où seront bannies ces crapules de psychiatres et les promoteurs immobiliers avec qui il est en contact car il n’est « pas seul », dit-il. Il ajoute que la juge (qui a du mal à réprimer un sourire) peut contacter Olivier Besancenot qui confirmera ses dires. Un autre encore, qui ne sait pas son âge, au regard globuleux effrayant, évoque tout d’un coup des voisins extrémistes, une « secte » terroriste, et une kalachnikov trouvée dans la cave…

12 jours – Documentaire français de Raymond Depardon – Sortie le 29 novembre 2017 – Durée : 1h27.

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