Bienvenue à Suburbicon de George Clooney et des frères Coen : un film noir qui fera rire jaune les Petits Blancs…
L’urbanisme est toujours politique. De façon plus ou moins tangible. Ville nouvelle construite sur un modèle un peu effrayant pour la classe moyenne américaine des années 50, Suburbicon réunit 60 000 âmes – et pas que le gratin quoi qu’affichent les prospectus chargés de promouvoir l’heureuse bourgade. Les points communs de ses chanceux habitants sont la couleur de peau, la prospérité et un goût prononcé pour la tranquillité que procurent l’entre-soi et le grégarisme vigilant.
Suburbicon, où règne un ordre géométrique et moral, va pourtant connaître un soubresaut inattendu avec l’arrivée d’une famille afro-américaine. Ce qui coïncide – ô magie des mises en scène exigeantes toujours gourmandes de coïncidences (maître-mot de ce drame ourdi avec une facétie quasi hitchcockienne) – installation qui coïncide, donc, avec les manigances et les déboires de Gardner Lodge, bon père de famille, cadre aussi supérieur que manipulateur aux desseins néanmoins contrariés (Matt Damon).
« New Kids in the neighborhood » (1967) de Norman Rockwell.
Cette Amérique-là semble tout droit sortie des compositions hyper-réalistes du peintre new-yorkais Norman Rockwell (1894-1978) – voir tableau ci-dessus. Avec un talent assez imparable, George Clooney dont c’est ici la sixième réalisation derrière les caméras, épaulé par les frères Ethan et Joel Coen, décortique le rêve américain. Autopsie d’une époque révolue, Bienvenue à Suburbicon use d’un humour noir qui fait mouche. Les personnages ont des gueules et du bagout. Les crapules pullulent. Les situations se corsent, dans une tragique logique jamais loin du burlesque ou du macabre, comme dans la scène où Gardner Lodge, pédalant en pleine nuit sur le vélo de son fils, est poursuivi par un malfrat (Glenn Fleshler) qui roule en Coccinelle tout phare éteint.
Coincé entre sa tante (Julianne Moore) et son père (Matt Damon), le petit Nicky (Noah Jupe) ici de dos, est peut-être le seul à même de pouvoir encore identifier le vrai du faux, le bien du mal, le bon grain de l’ivraie… Et, sans vouloir spoiler, le suspect n°7 a quand même l’air sacrément louche.
Quelques mécaniques des fonctionnements (largement foireux) de cette société d’après-guerre sont passés à la moulinette – racisme, machisme rampant, virilisme, urbanisme uniformisant, cynisme et arrivisme sans scrupules formant un cocktail aussi toxique que copieux. Et on jubile. Tout simplement. Si le cinéma français comme on l’a vu est capable du meilleur, nul ne doute que le cinéma américain, lorsqu’il s’y met, cultivant avec finesse l’esprit critique, produit lui aussi des pépites étincelantes.
Bienvenue à Suburbicon – Tragi-comédie de George Clooney et des frères Coen – Avec Matt Damon, Noah Jupe, Julianne Moore, Oscar Issac, Alex Hassell, Glenn Fleshler… – Durée : 1h44 – Sortie en salles le 6 décembre 2017.