Whiskey & New York, de Julia Wertz : une BD sur le thème de la vie de bohème qui mérite le détour (et pas seulement pour l’esperluette du titre dans sa traduction française*).
Ayant acquis un brin de célébrité avec La Fête du prout, l’auteure, qui se met allègrement en scène, quitte San Francisco et sa famille pour New York et l’inconnu. Là pourront s’y exprimer pleinement ses goûts pour le Bloody Mary, pour la bande-dessinée, pour la solitude (condition de possibilité de la précédente) mais aussi pour les cafés où l’on se réchauffe l’âme entre amis, les questions existentielles et autres considérations gastro-intestinales (« Je suis sûre que si je chie un coup je peux faire assez de place pour une autre glace », p. 81). Divers petits boulots, vite abandonnés (serveuse à Think Coffe, livreuse à vélo pour un resto, chroniqueuse pour un magazine…), vont lui permettre de payer son loyer, d’affûter son sens aigu de la débrouillardise et inspirer plusieurs planches bien senties sur les mondes du travail précaire et de la loose, qui ont tendance à se superposer – domaines dans lesquels quoi qu’il en soit Julia Wertz développe une réelle expertise et une non moins désolante assiduité.
Julia Wertz navigue entre ses doutes, ses besoins et ses maladresses. Jonglant gaillardement avec ses addictions, ses névroses (ou celles de sa mère), ses culpabilités, ses failles (réelles ou imaginaires) sans jamais perdre son sens de l’auto-dérision à toute épreuve, Julia Wertz expose ainsi un portrait d’elle-même souvent assez hilarant. Et toujours sans fard.
Pour l’anecdote et parce qu’à L’Imprimerie on n’a pas peur des parallèles audacieux, on imaginera assez aisément que cette Californienne est une âme-sœur d’artistes locaux comme Pierre Ramine ou Lucie QZN, eux aussi férus de fanzines underground, de dessinage et de réflexions profondes sur le monde.
Les éditions L’Agrume nous proposent avec Whiskey & New York un carnet de bord ultra-urbain autobiographique vitaminé riche des saveurs (parfois amères) de l’Amérique actuelle, ancré dans le réel et ses miasmes, traversé de problématiques honteuses que le trait de l’auteure un peu enfantin (mais parfois aussi plus élaboré) aide à bien dédramatiser (la politique intérieure et extérieure des USA, les sans-abris, les aléas de la vie d’artiste, les conduites à risques, etc.). Bref, avec son avatar aux grands yeux candides et malicieux, Julia Wertz remplit à la perfection son rôle de guide touristique.
* Le titre original est Drinking at the movies (parce que pour se consoler de ses déboires dans les rues de Brooklyn ou de Williamsburg et dans les souterrains labyrinthiques du métro new-yorkais, Julia Wertz aime bien boire des petites binouzes bien peinarde dans quelque salle obscure).
Whiskey & New York, de Julia Wertz, Éd. L’Agrume, traduit de l’américain par Aude Pasquier, 210 pages, n & b, 2016, 20 €.