Une suite qui dérange : le temps de l’action, de Bonni Cohen et Jon Shenk : non pas un réquisitoire contre une chambre d’hôtel qui serait trop luxueuse, mais un plaidoyer pour une planète plus nette.
Le réchauffement climatique, la COP 21 de Paris ou le protocole de Kyoto de 1997, ça vous dit quelque chose ? Ou bien ça vous laisse froid ? En tout cas, c’est le principal cheval de bataille d’Al Gore – étudiant à Harvard, fils de sénateur, élu du Tennessee à la Chambre des représentants, sénateur, vice-président des USA de 1993 à 2001, aux côtés de Bill Clinton (quand même), et déjà lanceur d’alerte sur le même sujet environnemental avec un premier long-métrage Une vérité qui dérange (2006) réalisé par Davis Guggenheim (voir affiche ci-contre).
Dans ce nouveau documentaire centré sur une personne aussi charismatique que dynamique, on suit les prêches les conférences d’un homme qui visa le poste suprême états-unien – et se fit ratatiner après un décompte houleux des voix de Floride, par le Républicain Georges W. Bush. À la tête de son fonds d’investissements spécialisé dans l’économie durable, Al Gore, vacciné pour longtemps de la politique après cette déculottée, mais fort d’un prix Nobel de la Paix décerné en 2007, sillonne désormais la planète, allant de sommet en sommet, multipliant les rencontres avec les ministres, les édiles, formant des ambassadeurs du climat lors de séminaires magistraux en forme de one-man-show, s’évertuant à convaincre tout un chacun de l’importance urgentissime de limiter les émanations industrielles de CO2 et autres gaz à effet de serre. Car sinon… les océans vont monter de plusieurs mètres. Les réfugiés climatiques se multiplieront. Les tempêtes et cyclones océaniques – qui prennent de la puissance en passant au-dessus d’eaux de plus en plus chaudes – vont devenir de plus en plus ravageurs. Les épidémies vont s’avérer de moins en moins contrôlables – certains virus particulièrement rusés profitant des hausses de température pour, leur fertilité et leur dangerosité accrues, proliférer. Les incendies, dans certaines régions de plus en plus arides, vont s’étendre. Les inondations – comme celle de New York avec l’ouragan Sandy en 2012 qui submergea Ground Zero et qu’avait anticipée Une Vérité qui dérange – vont être de plus en plus « spectaculaires » et dévastatrices. Les conflits et les émeutes (nés de sécheresses qui entraînent des famines et leur cortège de misères, comme en Syrie) vont devenir inévitables… Car tous ces phénomènes sont liés. Interdépendants. Intriqués – c’est toujours intéressant d’avoir une vue globale des choses et c’est peut-être le point fort de ce docu.
Autrement, pour éviter ces apocalypses climatiques à répétition, il y a l’énergie solaire – et d’ailleurs Al Gore, en bon gestionnaire et homme d’affaires averti, a su placer ses billes dans cette niche technologique d’avenir. Il y a aussi l’entraide et la coopération entre les peuples, l’humanisme optimiste et les efforts démocratiques pour que la voix de chacun puisse se faire entendre – et notamment celle des minorités, des laissés-pour-compte ou des déshérités.
Bref, même si rien n’est gagné, nous rassure ce bon Al, tout n’est pas perdu. Pour preuves, des Républicains conservateurs – comme le maire de Georgetown, Texas – admettent les bienfaits de la réduction des émissions de CO2 et organisent localement la promotion des énergies renouvelables. Des pays comme le Chili explosent littéralement leurs perspectives les plus audacieuses en matière de gigawatts produits grâce au soleil. Des militants comme lors de la COP 21 à Paris (hélas passée au second plan de l’actualité à cause de l’attentat du Bataclan du 13 novembre 2015, duquel découlèrent des interdictions de manifester pour ces mêmes militants anticapitalistes et anti green-washing qui ne purent donc faire entendre leur voix comme ils l’auraient souhaité) sont également de plus en plus nombreux et décidés à contrer les orientations des grands de ce monde restés largement climatosceptiques et aveugles, ou dans le déni, face au problème inédit qui se pose à l’espèce humaine confrontée pour la première fois de sa longue histoire à des changements d’envergure qui seront le résultat de ses activités énergivores effrénées.
Alors, certes, Al Gore, en bon chairman, ne manque ni d’éloquence ni d’arguments – ni de moyens. Mais pour l’instant, c’est Donald Trump qui a été élu, et sitôt élu, il a désengagé les USA des accords de Paris signés l’année précédente, et abrogé le plan climat mis en place sous Obama. Et partout dans le monde, des freins actionnés par les gros industriels et autres prédateurs, les consommateurs béats et les dirigeants irresponsables, compromettent la mise en place d’alternatives à cet usage intensif des énergies fossiles que pratiquent les pays occidentaux depuis le XVIIIe siècle et que nous envient les puissances émergentes (Chine, Inde…) en dépit des nuages de grisaille qui obstruent déjà le ciel au-dessus des métropoles archi-polluées. Si bien que si des solutions doivent apparaître, Une Suite qui dérange nous fait bien comprendre que c’est à chacun d’entre nous de batailler, de bidouiller, à notre échelle, guidé·e·s par le vrai et le bien (car le réel est observable et on est censé pouvoir en tirer des conséquences), pour les mettre en place. Et passer de fait de l’âge du carbone à celui des cellules photovoltaïques.
« Notre Pôle qui êtes au Nord, ne fondez pas trop vite… sinon on ne saura plus où l’on habite… » semble implorer ce bon Al au vu de la banquise qui s’effiloche ou face aux dégâts des eaux en Floride où l’on lutte dérisoirement en surélevant les routes, ou, pour ce qui est du cas de la République archipélagique des Kiribati en Océanie, en rachetant des terres pas inondables aux voisins fidjiens (à deux mille bornes de là tout de même) en prévision d’une montée des eaux de 1 mètre à courte échéance, d’ici à vingt ans d’après certains pronostiqueurs, qui serait juste fatale pour les archipels gilbertins*.
* La République des Kiribati est en effet composée de 3 archipels principaux, dont les îles Gilbert, qui donnent leur nom au peuple et à la langue de ce très vaste secteur maritime (plus de 3 millions de km²).
Une suite qui dérange : le temps de l’action – Documentaire américain de Bonni Cohen et Jon Shenk – Avec Al Gore, le Prince Albert de Monaco, Ségolène Royal, Laurent Fabius, Donald Trump, Anne Hidalgo… – Durée : 1h40 – Sortie le 27 septembre 2017 – Musique (un peu gonflante avec ses accès de mélo) de Jeff Beals.