La Lionne blanche – Une enquête du commissaire Wallander, de Henning Mankell : un polar nordique qui nous entraîne en Afrique du Sud, dans les coulisses d’un coup d’État raciste.
Certes, la culture locale et la production littéraire du cru comptent beaucoup à L’Imprimerie Nocturne. Mais les productions mainstream internationales ont elles aussi leur importance – la culture étant par nature une question de flux, d’échanges, d’interactions impromptues, de décloisonnements.
L’auteur prolifique suédois Henning Mankell (1948-2015) ci-dessus à l’ouvrage a l’habitude d’entraîner ses lecteurs dans des voyages aux longs cours. Les Chiens de Riga, nous faisant traverser la Baltique, nous emmenait par exemple en Lettonie ; L’homme inquiet en ex-RDA ; Le Fils du vent dans l’Afrique du Sud et la Suède du XIXe siècle ; Le Chinois… en Chine et sur le tracé du chemin de fer construit aux USA par une main-d’œuvre corvéable à merci. La Lionne blanche nous conduit jusqu’en Afrique du Sud, à l’époque de l’apartheid finissant.
Commissaire quarantenaire divorcé, le bourru mais efficace Kurt Wallander exerce sa perspicacité, sa persévérance et ses sens très affûtés de l’observation et de la déduction pour résoudre des énigmes tordues. Son commissariat, en Scanie, est sur les dents. Le corps d’une femme, agente immobilière et méthodiste sans histoires, assassinée d’une balle dans le front, a été retrouvé (un peu par hasard il faut bien le dire) au fond du puits d’une ferme isolée dans la forêt. Et aux abords de la scène de crime a été découvert un index, tranché, qui appartenait à un Noir. Qui, si ce n’est le très malin et très pugnace Kurt Wallander, pourra recoller les morceaux de ce rocambolesque carnage ?
Des tueurs à gages venus des townships sud-africains. Des immigrés russes en exil en Suède rompus aux méthodes ultra-violentes de l’ex-KGB. Un complot d’affreux Boers visant à rétablir ou maintenir la suprématie blanche de plus en plus contestée depuis la récente libération de Nelson Mandela des geôles gouvernementales. Des policiers un peu débordés par l’ampleur de l’enquête. Des militant·e·s de l’ANC s’organisant pour reconquérir leurs droits fondamentaux. Un président De Klerk rusant pour infléchir l’histoire et éviter une guerre civile dans son pays… et le père de Kurt Wallander, artiste-peintre bougon, à la retraite (spécialiste mono-maniaque des paysages de forêt avec des coqs de bruyère en premiers plans), qui va se marier avec sa bonne et se demande toujours pourquoi son fils a intégré la police… sans parler de sa propre fille Linda, qui se retrouve à son corps défendant mêlée à cette épineuse affaire… La galerie des personnages convoqués dans ce roman prenant garantit rebondissements à la pelle et dépaysement (sauf si, bien sûr, vous êtes familier de Soweto, de Stockholm, d’Ystad, et avez des proches formés dans les écoles consacrées à la sécurité de l’État en ex-Union Soviétique, auquel cas, vous aurez simplement l’impression de feuilleter un aimable album de famille).
« De Klerk resta un moment silencieux.
- Je comprends leur raisonnement, dit-il. Les conséquences seraient encore plus effroyables. Une immense révolte chez les Noirs, avec les conséquences qu’on peut imaginer… et un groupe de Boers attendant à l’arrière-plan le moment d’intervenir pour mettre fin à la guerre civile. La Constitution est balayée, les instances du pouvoir sont mises hors jeu. Un régime corporatiste prend sa place, composé à parts égales de militaires, de policiers et de civils. L’avenir devient un état d’exception permanent… Mais revenons à l’urgence. L’attentat doit avoir lieu dans très peu de temps.
- Il y a des raisons de penser qu’il est programmé pour le 12 juin. »
page 399
La Lionne blanche – Une enquête du commissaire Wallander, de Henning Mankell – 1993 – Éditions du Seuil, coll. « Points », 2004, 510 pages.