Le Vénérable W. : un documentaire choc de Barbet Schroeder sur la fabrique de la haine.
La Birmanie s’étale entre le Bangladesh, l’Inde, la Chine, le Laos, la Thaïlande et la mer du Bengale. Le pays est majoritairement bouddhiste, comme en témoignent les temples, les monastères et les stupas qui colorent le paysage. Depuis 1962, le pays vit sous la coupe d’une junte militaire, elle aussi largement acquise au haut clergé bouddhique dont elle suit les recommandations.
Tous les hommes du pays, une fois dans leur vie, sont censés vivre la rude vie de moine. En toge orange safran, ils se consacrent durant un temps donné à la prière et à la méditation, étudient les textes sacrés et subsistent grâce aux aumônes des croyants qui, pour se booster le karma, nourrissent les bonzes.
C’est dans ce contexte que la parole du « Vénérable » Ashin Wirathu (ci-contre à la une du magazine Time en juin 2013 – Photographie d’Adam Dean) a pris racine. À longueur de sermons, ce moine influent féru de politique professe, tout en sourire et en onctuosité, la haine des musulmans (il utilise pour ce faire le terme péjoratif de « kalar » qui n’a rien à envier aux termes de « nigger » ou de « inyenzi » utilisés respectivement par les ségrégationnistes pour désigner les Noirs aux USA ou pour dénigrer les Tutsis au Rwanda assimilés à des cancrelats avec les conséquences que l’on sait quant au génocide de 1994). À force de propagande et au moyen d’une rhétorique de l’injure, il distille ainsi sa croyance en une race supérieure et pure qui doit par exemple se protéger des mariages avec les Rohingya (ethnie musulmane installée au sud-ouest du pays, près de la frontière bengalie) et refuser de commercer avec eux. Car à l’en croire, les Rohingyas, qui représentent pourtant moins de 10% de la population birmane, menaceraient, de par leur taux de natalité et leurs pratiques entrepreneuriales, la stabilité du pays et le bien-être de la population bouddhiste. D’autres soulignent que la pression exercée à l’encontre des Rohingya du Sud-Ouest serait liée au sous-sol de cette région de la Birmanie qui regorge de pétrole.
Disposant de moyens importants, Wirathu multiplie ses harangues, diffuse livres, tracts et dvd, a créé un mouvement anti-musulman (969) qui a été interdit, puis une organisation du même tonneau (Ma Ba Tha) prônant la suprématie des bouddhistes sur les musulmans dans tous les domaines de la vie publique.
Ses théories favorisent la promulgation de lois inégalitaires (y compris depuis que le parti d’Aung San Suu Kyi a amorcé un virage démocratique), l’instauration d’un apartheid et la prolifération d’émeutes d’une violence inouïe entre les communautés religieuses bouddhiste et musulmane. Des villages sont brûlés, des populations (musulmanes mais néanmoins birmanes) sont déplacées, confinées dans des camps de réfugiés, exilées vers le Bangladesh voisin, dépossédées de leur terre, et dans les cas extrêmes lynchées par des foules fanatisées.
Avec force images d’archives d’une actualité « brûlante » et pour certaines particulièrement choquantes, Le vénérable W. décortique ainsi les processus idéologiques qui conduisent à la haine de l’autre et à des tentatives pour l’éradiquer, cet « autre », au nom de la « protection de la race », au prix d’un dévoiement de la philosophie fondamentale du Bouddha basée sur la compassion… et au bénéfice de quelques pontes au charisme certain adulés par une population en mal de guides spirituels qui ne sont pas sans rappeler les gourous maléfiques de L’Étreinte du serpent de Ciro Guerra (2015) ou de Chez nous de Lucas Belvaux (2016).
Le Vénérable W., documentaire franco-suisse de Barbet Schroeder – Sortie le 7 juin 2017 – Durée : 1h40 – Interdit aux moins de 12 ans – Nommé aux Séances spéciales du 70e festival de Cannes.