Le ronron d’un réveillon sans surprises vous ennuie ? Voici une sélection de BD qui parlent économie, politique et science-fiction à mettre sous le sapin pour alimenter la polémique en dégustant une bûche au beurre.
Economix de Michael Goodwin
« Nous avons trop longtemps laissé les autres comprendre l’histoire de l’économie pour nous : c’est pour que cela que nous sommes dans cette panade » Michael Goodwin
Pourquoi le libre-échange et le capitalisme se sont-ils imposés dans le monde que nous connaissons ? Quelles sont les visions et théories qui sous-tendent cette dynamique économique ? D’où vient la dette ? Quid de l’épuisement des ressources naturelles ?
Ouvrage pédagogique, Economix est un véritable cours d’économie et nous présente les penseurs fondateurs tels Adam Smith, Ricardo ou Keynes. La BD se base sur l’histoire en expliquant l’impact des guerres, de la mondialisation ou des décisions politiques sur l’économie.
Tout en restant objectif, l’auteur n’hésite pas à orienter son propos vers une critique du libéralisme passionnante et originale. Les économistes orthodoxes présentent leur théories comme des faits scientifiques incontestables, ce que l’auteur remet en question, exposant dans le détail les limites des théories appliquées sans recul et leur conséquences néfastes.
Seul bémol, la BD se concentre sur l’économie et l’histoire américaines depuis le pouvoir des trusts au début du XXe à la crise des subprimes et on aimerait (beaucoup) avoir les mêmes explications sur le libre-échange en Europe par exemple. L’ouvrage est dense, un peu aride parfois mais a le grand mérite d’exprimer et d’argumenter en faveur d’un point de vue hétérodoxe : une vision de gauche de l’économie, en somme. Comprendre l’économie, c’est pouvoir décoder les discours dominants et maîtriser notre destin !
Economix. La première histoire de l’économie en BD, par Michael Goodwin, illustrations de Dan E. Burr
Les Arènes, 2014, 304 p., 22,90 euros. Nouvelle édition avec 32 pages supplémentaires.
La Présidente, tome 1 et 2, de François Durpaire et Farid Boudjellal
« Toute ressemblance avec des situations existantes ne saurait être que fortuite, à moins qu’elle ne résulte de l’application par un parti autoritaire des lois sécuritaires votées dans le contexte des attentats »
Ouvrage de politique-fiction, La présidente imagine Marine Le Pen sortant victorieuse des élections de mai 2017 face à une gauche décrédibilisée. Le tome 1 expose les premiers mois de règne du Front National, la constitution du gouvernement, l’indignation et l’impuissance des médias, les premières mesures de préférence nationale et la sortie de l’euro qui entraînent une division nationale et un plongeon économique plaçant la France au bord du gouffre.
Au début du tome 2, Totalitaire Marine Le Pen prépare sa réélection après un premier quinquennat sur fond de repli identitaire et de traque des opposants. L’album se concentre sur l’utilisation des systèmes de surveillance mis en place par la gauche, les lois votées dans le contexte de l’état d’urgence se révélant de formidables outils pour museler les citoyens…
Ce scénario sombre est totalement crédible ; certains événements prédits dans le tome un, Brexit ou montée du populisme se sont effectivement produits. Les partis politiques veulent parler à l’imaginaire en proposant une vision radieuse du monde sous leur gouvernance ; La Présidente applique le mouvement inverse : prendre leur programme au mot et décrire les conséquences implacables qui en découleraient.
Les dessins très réalistes de Farid Boudjellal servent parfaitement le scénario et rendent cette uchronie particulièrement glaçante.
La Présidente, tome 1 et 2, de François Durpaire et Farid Boudjellal, Les Arènes, 2015 et 2016, 20 euros.
Patience de Daniel Clowes
Dernier album de Daniel Clowes, le géant de la contre-culture, Patience est un trip mystique, une histoire d’amour et de science-fiction aux relents existentiels. Trouvant sa fiancée enceinte morte dans leur appartement, Jack Barlow après un bref passage en prison découvre un fluide temporel lui permettant de retourner dans le passé avec l’espoir fou d’éliminer le futur meurtrier de sa fiancée.
On retrouve des thèmes chers à Clowes, les héros misanthropes, parfois impulsifs et violents comme Wilson, la nostalgie du passé et une forme d’infantilisme liée aux Comics et une vision volontairement grotesque du futur. Ici l’enquête pour savoir qui est à l’origine du meurtre de Patience tient le lecteur en haleine tandis que le héros navigue dans les paradoxes temporels, sautant d’une époque à l’autre, toujours obsédé par la résolution du crime à venir. Fantôme bienveillant hantant le passé de sa fiancée, ses actions irréfléchies entraînent des conséquences inattendues et le plongent dans un doute récurrent.
Le style graphique aux couleurs psychédéliques avec un trait sec et heurté confère à l’album une dimension angoissante et métaphysique, évoluant vers un final apaisé voire bouddhiste. Au-delà de la science-fiction, c’est une réflexion sur les moments-clés qui déterminent une existence, portant en eux l’éternelle question du hasard et de la destinée.
Patience de Daniel Clowes, Ed. Cornélius, octobre 2016, 30,50 euros.