Colonia de Florian Gallenberger : un drame historique inspiré de faits réels qui rappellent à toutes fins utiles que les nazis et leurs avatars n’étaient pas des enfants de chœur – même s’ils pouvaient éprouver pour ces derniers une certaine attraction…
1973 : année fatidique pour le Chili, en grave crise économique, politique et sociale. Salvador Allende (1908-1973), président depuis 1970, à la tête de l’Unité Populaire regroupant communistes et socialistes (UP), est victime d’un coup d’État – appuyé par les USA de Richard Nixon et le camp occidental impérialiste. Allende meurt les armes à la main lors de ce putsch, le 11 septembre. Le général Augusto Pinochet (1915-2006), nommé un mois plus tôt chef des armées, s’empare, et ce, pour un long moment, des rênes du pouvoir.
Pour les opposants commencent la traque impitoyable, les exécutions sommaires, les arrestations arbitraires, les disparitions – les années noires. Parmi ceux-ci, l’Allemand Daniel (Daniel Brühl), photographe passionné armé de son seul Nikon et militant convaincu de l’importance de l’émancipation des peuples prolétaires opprimés. Aux côtés du bon Daniel : la vaillante Léna (Emma Watson), hôtesse de l’air au charmant minois de musaraigne, qui bosse pour la Lufthansa.
Si Colonia démarre dans les liesses et les harangues avec Bill Withers (« Ain’t no sunshine », 1971) en fond sonore, la suite est plus lugubre lorsque la répression s’organise…
Colonia excelle ainsi dans la reconstitution de cette période charnière qui vit le Chili plonger dans les ténèbres d’une dictature militaire réactionnaire. Plongée éprouvante. On suit, désemparé, les malheurs de Daniel. On se réjouit, rassuré, de ses ruses et ressources. Arrêté dès les premières heures, il est rapidement évacué de Santiago et conduit dans un centre de la police secrète chilienne, Colonia Trinidad, situé au sud de la capitale de ce longiligne pays bordé à l’Ouest par l’Océan Pacifique et à l’Est par l’Argentine avec qui il partage 5 400 km de frontières. L’amour sans limite – pour ne pas dire aérien – que lui porte la jolie Léna sera-t-il assez fort pour sauver l’imprudent Daniel ?
Décrivant ce centre austère, Colonia nous conduit en enfer. Un enfer sectaire ultra-sécuritaire où il s’en passe des vertes et des pas mûres. Un enfer qui ressemble à un mélange très amer entre une enclave concentrationnaire* – où la population est soumise aux lois d’un « saint père » pédophile et sans vergogne (l’inquiétant Paul Schäfer, joué par Michael Nyqvist, qui a créé cette colonie après la Seconde Guerre mondiale pour y perpétuer un certain art de vivre germanique**) – et cette communauté perdue dans la jungle amazonienne décrite dans L’Étreinte du Serpent, de Ciro Guerra*** – où un simulacre de religion est utilisé en vase-clos, non pas pour élever les âmes, mais pour assouvir la folie perverse d’un gourou illuminé. Un enfer d’opacité sous le sceau du secret d’État, qu’il s’agira de dénoncer, de mettre en lumière – mais d’où il sera d’abord question de s’évader. Un enfer où les colons captifs ont le cerveau lavé par un ensemble de procédés aliénants (séparation stricte des hommes, femmes et enfants // prières et messes collectives et non-mixtes // viols et violences établis en mœurs // tortures et humiliations quotidiennes // administration forcée de médicaments, etc.). Un enfer où tous sont habillés comme les Deschiens, ou bien, les jours de fêtes (grosso modo tous les 3 ans) d’uniformes bavarois. Enfer d’où l’amour est absent, exception faite bien entendu de l’idylle clandestine nouée entre Daniel et Léna… L’amour, ce sentiment « usé jusqu’à la corde, galvaudé par plus d’un amant », pour reprendre les paroles de Charles Aznavour****, qui reste le socle sur lequel se bâtissent encore les plus belles œuvres de cinéma.
Colonia, drame historique germano-franco-luxembourgeois inspiré de faits réels de Florian Gallenberger avec Emma Watson, Daniel Brühl, Michael Nyqvist… – Durée : 1h50 – Sortie le 20 juillet 2016.
* Cf. Le fils de Saul (Saul filia), film hongrois de László Nemes, où il sera aussi question, pour ceux qui résistent à l’intérieur des camps tels que ceux d’Auschwitz-Birkenau, de témoigner d’une réalité et d’exfiltrer des clichés rendant compte de la réalité que certains veulent taire, masquer, étouffer… Mais l’Histoire en témoigne, il est rarement possible de persister dans le déni, de maintenir une chape de plomb et de silence et de faire comme si quelque chose n’existait pas. L’existence subsume le silence.
** Le vrai Paul Schäfer (1921- 2010), ici interprété par Michael Nyqvist, ex-SS devenu gourou d’une secte d’obédiences nazie et luthérienne, que ses fidèles appelaient « l’oncle permanent », mort en prison, a été arrêté seulement en 2005.
*** Le continent sud-américain, évangélisé dans la contrainte depuis le XVIe siècle, a développé vis-à-vis de la religion catholique un rapport paradoxal, puisque celle-ci est à la fois devenue une religion populaire et un prétexte, ou un sinistre alibi spirituel, pour pratiquer toutes sortes d’horreurs et justifier ignominies et autres déviances idéologiques ultra-conservatrices, pour ne pas dire clairement fascistes, en tout cas très éloignées du message originel du Christ.
**** In Idiote je t’aime… (1972).