À l’occasion de sa venue à l’Antipode le 21 avril et pour la sortie de son nouvel album Eternal, nous avons posé quelques questions à Guts; un beach-digger qui réchauffe les vinyles et la scène.
■ Guts bonjour ! Tu te définis comme un beat-digger; pour nos lecteurs qui ne connaissent pas forcément peux-tu expliquer le principe ?
Beat-digger c’est la contraction entre beatmaker et crate-digger. Expliquons déjà le terme de beatmaker; c’est le rôle que peut jouer un artiste de composer une musique instrumentale sur laquelle normalement un rappeur est censé… ben éventuellement rapper ! En tout cas c’est la musique qui est derrière. Après avec l’évolution du hip-hop les beatmakers ont de plus en plus composé pour eux-mêmes en mode solo.
Le crate-digger c’est celui qui est souvent un collectionneur de disques, de vinyles, très obsédé par la découverte de vieux disques, de vieilles perles, l’idée d’aller toujours dénicher ça dans les marchés, les conventions, les brocantes, et qui va passer beaucoup de temps à chercher des disques méconnus, en leur donnant une seconde vie en les passant dans des djs sets, des compilations..
Je suis vraiment une jonction des deux, puisque ma musique est principalement composée de samples, du coup le travail de digger que je peux avoir nourrit la créativité, pour composer ma musique, parfois à 100%, parfois à 20 ou 30%.
■ Avec la carrière que tu as aujourd’hui, tu continues de fouiner dans les brocantes ?
Beaucoup moins maintenant parce que soit je suis hyper occupé à faire des concerts ou être en studio. Mais évidemment dès que j’ai des fenêtres de liberté, de tranquillité, je rentre chez moi en Espagne, et il n’y a que peu de marchés ou brocantes, et je passe plus de temps d’utiliser les outils actuels, en cherchant sur des plateformes comme E-bay ou Discog. J’ai aussi mes réseaux de dealers de skeuds qui eux me proposent aussi des listes de disques rares.
■ Justement il y a une dernière perle que tu as dénichée récemment ?
À travers un voyage récent en Asie, j’ai fait plusieurs pays là-bas dont la Thaïlande, et chez un disquaire à Bangkok qu’on m’avait chaleureusement recommandé, j’ai trouvé un album de musique thaïlandaise, début des années 80, et il y a des titres un peu soul jazz, un peu funk, et il y a un titre boogie qui est absolument incroyable et improbable. Effectivement par les voyages j’en profite toujours pour aller chiner, chez les quelques disquaires qui peuvent rester.
« Dee Nasty, notre père un peu à tous »
■ L’année dernière c’était la sortie de Hip-hop after all; c’est quoi ton histoire avec le hip-hop, au tout début ?
À la base je suis un gars de cité, où on écoutait surtout du funk et du reggae, années 1985, 86, 87. Et puis y avait un des gars de ma cité qui a commencé à écouter Radio7, certaines émissions de Dee Nasty, notre père un peu à tous. Il m’a fait découvrir une émission qu’il avait enregistrée sur K7, et évidemment ça m’a parlé tout de suite, j’étais hyper curieux de ce mélange de hip-hop et de musique électronique. Je me suis intéressé à cette musique, ça m’a amené au mouvement hip-hop encore embryonnaire à cette époque, avec toutes les branches de ce mouvement, le graff, la danse, le délire Dj, le délire rappeur, et ce délire de mouvement, de communauté qui était en train de fleurir, en train de se développer. Très vite je me suis fait plein de potes graffiteurs, djs, je me suis retrouvé dans un collectif, IZB (Incredible Zulu Bboy), puis ça m’a permis de rencontrer d’autres passionnés et finir par créer Alliance Ethnik à l’époque.
■ Ce nouvel opus nommé Eternal c’est pour dire que le hip-hop l’est ?
Non c’est pas mon idée de départ. Au départ c’est plus parce que j’adore ce mot, je le trouve profond et poétique. Après comme il s’agissait d’un projet collectif avec un live band, initié avec Hip-hop after all, avec de belles aventures, ce groupe-là il s’est soudé, des affinités se sont créées, et je me suis très vite aperçu que l’idée de faire un album uniquement avec ce live band et de pouvoir concrétiser cette aventure, ça avait pour moi une signification d’éternel. Évidemment quand tu écris un bouquin, quand tu fais un tableau, quand tu sors un disque, après ton disque il a de grandes chances de vivre un peu plus longtemps que toi ! En tout cas s’il est bon il est censé un peu traverser les générations et les époques !
Il y avait aussi les attentats de novembre 2015 au Bataclan; la veille on jouait au Trianon, y avait aussi inconsciemment cette dimension qui m’a donné envie d’appeler cet album Eternal. Il y a eu plein de choses bizarres et flippantes, donc ça rejoint un peu tout ça.
« Le mot d’ordre au début c’était « no limit »(…) »
■ Pour cet album tu parlais de live band, Eternal pioche un peu partout, est ce que c’est un retour aux sources d’amour pour la soul, le funk ?
Non, parce que j’ai jamais fait d’album aussi éclectique. Il y a des titres assez pop, des titres japonisants, des compositions hybrides. Le côté éclectique je l’ai acquis au fil des années, en élargissant mes sources d’inspiration, mes recherches de musique. Et le fait de travailler avec le live band, tous les musiciens ont eux aussi leurs inspirations, leurs expériences, leur sensibilité, le fait de les associer, c’est ce qui donne le côté multi-genre. Je voulais pas rester dans une petite zone de confort, celui qui se met pas en danger, qui prend pas de risque, là j’avais envie de me lâcher. Le mot d’ordre au début c’était « no limit », on s’en fout, les barrières artistiques, on s’en fout, le directeur artistique ben y en a pas ! On fait ce qui nous inspire sur le moment. Et le résultat c’est Eternal.
« c’est un peu le tiers-monde au niveau de la découverte des instruments ! »
■ Dans une interview de 2015 à Indie music tu disais « L’idée, c’est de donner accès aux enfants pour les concerts.(…) Il faut aussi donner une autre image du hip-hop aux enfants. Qu’ils n’aient pas que Black M, Maître Gims et Booba en tête. » Tu as réussi à programmer ce genre de dates ? Si oui ça s’est passé comment ?
Pour l’instant, à ma plus grande frustration, on a fait une date pour tester à la Maroquinerie l’année dernière; on avait fait ça un mercredi après-midi, c’était gratuit, et ça s’est super bien passé, c’était hyper rigolo de pouvoir faire ça avec les enfants. Ça m’a donné envie d’en faire plein d’autres, mais le problème c’est que dès que c’est gratuit c’est compliqué à organiser, à côté ça demande pas mal de logistique et d’organisation, ainsi qu’une planification largement à l’avance, plein de petites contraintes qui font que c’est pas évident de motiver les bookeurs, les promoteurs locaux. J’ai pas mal de contacts avec des gens motivés, donc je vais essayer de mettre en place l’idée de manière un peu plus régulière. Parce que c’est important de donner une autre vision de la musique, donner aux enfants l’envie de jouer des instruments; au collège c’est un peu le tiers-monde au niveau de la découverte des instruments, de tout ce qui est l’initiation à la musique ! On a une bonne marche d’effort et on peut encore faire mieux ! On est loin d’avoir créé toutes les structures et la méthodologie d’emmener les enfants vers les instruments.
■ Le 21 avril tu viens jouer à l’Antipode de Rennes où tu étais déjà venu jouer il y a deux ans; c’est un plaisir de venir dans cette ville ?
C’est un plaisir d’y venir, parce que je sais que c’est une ville qui est un pôle culturel, je trouve, assez riche, c’est une ville qui bouge, qui donne envie de venir jouer; c’est un public aussi assez connaisseur, j’ai le souvenir de gens qui connaissent bien la musique. En plus j’ai quelques potes qui sont là-bas, il y a un bon disquaire, donc effectivement c’est un endroit qui donne envie, comme Toulouse, Lyon, Montpellier, qui te donnent envie de jouer, d’être généreux.
■ Pour terminer cet entretien, quel serait ton dernier coup de cœur scénique ?
Le souci c’est que j’ai pas eu le temps de voir beaucoup de spectacles ces derniers temps ! Mais je parlerais de Flying lotus au Trianon; j’y allais un peu à reculons, en me disant avec son délire de musique ultra compressée, y a un côté un peu dur, et en fait son délire d’être au milieu de deux écrans, j’ai été captivé par le spectacle que j’ai trouvé hyper créatif. J’ai été surpris par le côté novateur, mais ça date d’il y a un an et demi. Je sais qu’il y a des groupes chanmé sur scène mais que j’attends de voir, je pense à Deluxe de chez Chinese man, et à chaque fois je les loupe !
Les informations sur le concert à l’Antipode