Bibliothèque de rue, le mode d’emploi

Initiatives d’habitants, d’associations ou de conseils de quartier, les bibliothèques de rue se multiplient à Rennes. État des lieux de trois d’entre elles pour connaître leur fonctionnement.

 

« Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut », écrivait Cicéron. Avec plus de 800 livres en accès libre de jour comme de nuit et le jardin Gérard Philippe pour cadre de lecture, la première bibliothèque de rue rennaise, créée en 2010 par l’association Bel Air dans le quartier Francisco Ferrer, aurait certainement ravi le philosophe et homme politique romain.

Carrefour 18bis

À Rennes trois autres bibliothèque de de rue existent : Place aux livres à la Poterie, Carrefour 18 au Blosne et Les lectures d’Alphonse à Alphonse-Guérrin.

Leur principe : donner la possibilité aux habitants d’avoir un accès permanent à des livres « afin de lutter contre illettrisme, créer du lien social et partager des savoirs » confie Françoise Pham, bénévole à la bibliothèque Bel Air.

L’idée est plaisante. À tel point qu’une cinquième bibliothèque de rue devrait voir le jour dans le quartier Beauregard. Le projet de l’association 3 regards de Léo-Lagrange a été retenu dans le cadre du budget participatif organisé par la municipalité rennaise du 25 février au 6 mars.

Les Rennais devraient même voir fleurir ces installations dans leur ville. Le développement des bibliothèques de rue était une promesse de campagne de la maire de Rennes, Nathalie Appéré.

« Si tu veux un livre, poses-en un! »


Du troc de livres


Mais comment fonctionnent ces bibliothèques d’un genre un peu particulier? Et surtout sont-elles fréquentées par les habitants des quartiers où elles sont implantées ?

Question fréquentation, aucun chiffre ne permet de connaître précisément le nombre de lecteurs et pour cause : aucune inscription n’est nécessaire pour emprunter un livre. Mais les disparitions, les retours et les dépôts sur les étagères font dire aux bénévoles qui gèrent les structures que ces dernières sont utilisées.

Le principe d’emprunt est basé sur le troc, comme le résume le tag sur un mur de la bibliothèque de Bel Air : « Si tu veux un livre, poses-en un! »

Bibliothèque de rue Bel Air 2bis

Dans les faits, la règle n’est pas appliquée à la lettre. « Si les gens veulent prendre sans donner, nous n’irons pas leur courir après », précise Françoise Pham.

Néanmoins pour que le concept fonctionne, il faut tout de même qu’il y ait presque autant de dons ou d’acquisitions que d’emprunts, sinon le fonds s’épuise. Un accroc pointé par les salariés de l’association Lire et délires qui a lancé la bibliothèque de rue au centre social Carrefour 18 en janvier 2015.

« Trois mois après le lancement, nous avons rencontré un problème parce que la première action des utilisateurs a été de prendre des livres sans les ramener et sans en déposer, raconte Sophie Marotte de l’association Lire et délires. Depuis tout est rentré dans l’ordre. »

Toutes les bibliothèques de rue rennaises ont été créées en partant des habitants du quartier. Et toutes ont dû obtenir une autorisation municipale pour occuper l’espace public. « Ce sont deux points très importants », souligne Philippe Guichoux, à l’origine de la bibliothèque Bel Air et membre de l’association Les livres des rues qui promeut les bibliothèques de rue auprès du public et des institutions.


Fonctionnements en pagaille


Cependant les fonctionnements des différentes structures ne sont pas semblables en tous points.

Les bibliothèques de Bel Air et de Place aux livres effectuent une sélection des ouvrages en fonction de leur contenu. Pour eux les livres religieux et à caractère pornographiques ou érotiques n’ont pas leur place sur les étagères. « On fait de la censure, c’est clair. Mais c’est vraiment à la marge. Il doit y avoir deux livres retirés par semaine », assume Pierre Le Bail, directeur de la Maison du Ronceray, partenaire de la bibliothèque Place aux livres de la Poterie, créée en novembre 2014.

Bibliothèque de rue Bel Air_bis

Il n’en est pas de même à Carrefour 18. « Nous ne sommes pas légitimes pour dire ce que les gens doivent lire, explique Sophie Marotte. Il y a une auto-régulation. Tout le monde peut enlever un livre, s’il lui déplaît. » Quant au sujet des livres érotiques voire pornographiques, type mangas, l’équipe n’en a jamais vu et relativise la chose : « Pour les enfants, on s’est dit que de toute façon, ils pouvaient voir bien pire sur Internet. »

À Carrefour 18, le projet a été envisagé afin que la bibliothèque soit prise en charge par les habitants. Le terme même de bibliothèque est remis en cause parce qu’il implique « un cadre, une obligation, une inscription. »

De fait l’action de l’équipe de trois personnes de l’association Lire et Délires se limite à réceptionner le dépôt de cartons de livres et à garder un œil en passant sur l’étagère située sous l’auvent à l’entrée du centre social.

Chose impensable mais pas critiquée aux bibliothèques de Bel Air et de Places aux livres, où le parti pris est une présence. Quatre bénévoles pour la première et une quinzaine pour la seconde. Leur rôle consiste à entretenir la bibliothèque, remettre les livres en place, réceptionner les ouvrages déposés par les passants. Sur chaque livre est apposé un tampon mentionnant : « Ne m’achetez pas, ne me vendez pas. Je suis de la bibliothèque de rue. » Les bénévoles de Places aux livres collent même une gommette sur chaque bouquin pour « signaler que les livres ont été vérifiés. »

Loin d’être remises en question ces différences de fonctionnement sont valorisées par les acteurs des bibliothèques de rue. Tous l’affirment : « Le pire ce serait de plaquer des normes de fonctionnement sur les futures bibliothèques de rue. »

Le message sera peut-être entendu par les futurs initiateurs des projets rennais.

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