La sortie début février 2016 de Multi-facettes, le premier album de Mazette, beatmaker de son état, était une bonne occasion pour découvrir l’environnement qui anime son univers.
Actif depuis plusieurs années dans son coin, le Tourangeau commence à se faire connaître grâce à ses participations ici et là sur scène et sur internet… Artiste indépendant, sa composition musicale conserve cette touche typique qu’il a su travailler avec un beat singulier reconnaissable les yeux fermés. À l’image de certains beatmakers reconnus, Mazette a réussi à trouver son style. Pour ce projet, il a su poser un cadre et s’entourer d’artistes qui apportent une bonne dynamique à son album mêlant beatmaking, scratchs et vocales. Mais le mieux c’est de laisser s’exprimer l’artiste sur son propre projet. L’interview qu’il a bien voulu nous livrer vous apprendra ce qu’il faut savoir sur lui et tout ce qui entoure son vaste univers !
- Question classique mais nécessaire pour mieux connaître l’artiste, comment es-tu arrivé dans la musique ?
J’ai toujours été attiré par la musique, ma famille en écoutait déjà beaucoup pendant mon enfance. Dans un 1er temps, c’est mon frère qui m’a poussé à apprendre le mix sur vinyle, ce que j’ai fait en 2009 lorsque j’ai débarqué sur Tours. Je passe alors 3 ans à apprendre le mix, dans un style hardtech puis électro et je finis par avoir l’opportunité de jouer mon set dans un bar et une salle de concert sur Tours. En 2011 je rencontre Dr Fanx (créateur de l’artwork de l’album) qui m’initie au logiciel FL Studio et là c’est parti. Séduit par la création/production j’expérimente des morceaux électro et sors un Ep en format digital chez « FrenchPommesFritesRecords ». Ça m’a mis un bon coup de fouet ! Par la suite, en 2012, je rencontre des rappeurs (CenterCoast, Flaco Nuñez, Absurde…), ils cherchent des instrumentales et un beatmaker. Du coup j’me mets à faire des intrus’ et c’est le gros kiff !! Depuis je collabore avec pas mal d’autres groupes de rap de la région (Le Phrazé, Koye, Artillerie de Salopards…) et je crée aussi des morceaux pour des reportages, documentaires, notamment pour « RektangleProd », une boîte d’audiovisuel sur Tours, ainsi que des collaborations avec d’autres réalisateurs pour des soundtracks de vidéos.
- Parmi tes productions passées il semble que tu aies trouvé ta touche personnelle, qu’est-ce qui t’a attiré dans le beatmaking orienté abstract hip-hop ?
Pour moi c’est une musique qui laisse place un peu à n’importe quoi, ce qu’on veut. Je peux aller dans tous les sens, passer d’un rythme lent à rapide, et tout dépend sur quel sample je tombe. L’abstract hip-hop permet de laisser ton cerveau entendre ce qu’il veut (vu qu’il n’y a pas de Mc) ça laisse la place pour rêver et je guide un peu en plaçant, par moment, des samples de voix extraits de films qui me parlent.
- Qu’est-ce qui t’a décidé à franchir le pas pour produire ton premier album ? Avec qui as-tu collaboré pour qu’il voie le jour ?
Au début, dès que j’avais fini un morceau j’avais pour habitude de le poster direct sur Soundcloud, avec une envie de le partager direct et pouvoir ainsi avoir de la critique et progresser etc. J’ai eu ensuite l’idée de mettre 1-2 morceaux de côté dans le but de faire un Ep instrumental trip-hop. J’ai continué à en mettre de côté, j’ai eu des idées pour le thème ainsi que pour le projet des illustrations et j’me suis dit, quitte à dépenser de l’énergie pour un projet, autant continuer et patienter pour produire un album ! Heureusement je suis bien entouré, EikoNoklast m’épaule sacrément pour tout ce qui est mixage et j’enregistre les 4 featurings de l’album au Macrocosme Studio à St-Avertin. Flaco Nuñez, Absurde, Spdy Waï et Olivia Zitouna ont gentiment prêté leur voix pour l’album et des musiciens/beatmaker/DJ comme EikoNoklast, Lugha, Sam X (mon frère qui m’accompagne à la derbouka sur un morceau) et Dirty Fingaaz sont également invités sur l’opus. Pas mal de moments d’introspection passés avec mon poto Domingo pour la recherche des noms des morceaux et du titre, big up à lui ! Pour le mastering c’est Hugo Senbeï, au KameHouseStudio à Bordeaux, qui s’en est chargé et qui a bien fait le taf pour booster le tout. J’ai collaboré avec Rektangle Prod, une boîte dans l’audiovisuel sur Tours, qui, suite à un échange de bons procédés, crée un teaser de l’album en animation, mettant en scène le caméléon de la pochette roulant à bord de son vélo. Merci à Hélène Viau et Loïc Mauléon ! J’ai également eu l’envie de faire participer des artistes locaux pour illustrer chaque morceau de l’album, mais je vous en parlerai plus bas… Enfin pour la partie concrétisation du projet, c’est VATSA’PROD qui répond favorablement pour la production de l’album et donc de la sortie en physique de l’objet. VATSA c’est un label autonome de la prod’ à la distribution, 15 ans d’expérience dans le milieu underground hip-hop avec leur groupe de rap Le KYMA, bref des mecs qui en veulent et qui se battent pour défendre des valeurs éthiques et qui se laissent pas manger le cerveau par l’industrie du disque… Un big honneur du coup de sortir mon album sous ce NOM-là.
- Quelles ont été les influences qui ont forgé ta musique ?
J’ai beaucoup écouté tout ce qui se fait en trip-hop (Chinese Man, Proleter, Kognitif, RogerMolls…) ça m’a séduit directement. Ensuite j’adore aussi la soul, justement avec la grande Nina Simone que j’ai samplée et samplée… et tout et n’importe quoi suivant sur quoi je vais tomber en cherchant mes samples. C’est vraiment du pur plaisir, je découvre multitudes d’artistes en écoutant des vieux vinyles aux pochettes complètement dingues pour enfin pouvoir trouver la sonorité, le sample que je veux, et quand je le trouve, c’est l’extase ahahah !
- Pourquoi choisir le caméléon pour représenter l’album ? J’imagine qu’il renvoie directement au titre, mais quelle idée se cache derrière ?
Alors dans un premier temps, c’est Dr Fanx qui m’a déniché l’animal. (C’est un travail à plusieurs cet album, chacun y a mis sa patte !) et ensuite j’ai développé des idées autour de ce caméléon. Ça correspond bien à ce que je veux faire passer parce qu’il a cette capacité de se fondre dans divers environnements, ce que j’essaie de faire, je me considère pas dans un domaine précis, je vagabonde et teste des trucs suivant mon environnement. Du coup ce caméléon permet de voyager d’un univers à l’autre, et c’est lui qui décrit, à l’aide de sa MPC, ce qu’il ressent en musique suivant l’ambiance du morceau. Ensuite dans mon album, je voulais faire participer des amis et proches, qu’ils apportent leur propre touche et qu’ils nous laissent découvrir leur facette aussi. C’est là que j’ai l’idée de faire illustrer chaque morceau par une personne différente. Multi-facettes !
- Un petit mot sur le travail visuel et graphique qui a été fait autour ?
La pochette est de Dr Fanx, un dessinateur sur Tours. Big up à lui ! Ensuite, comme je l’ai dit plus haut, j’ai proposé à des dessinateurs (pro, amateur, passionné) de dessiner leur caméléon. Je leur ai envoyé à chacun un morceau avec quelques mots sur l’ambiance et les émotions que je voulais à peu près faire ressortir et ils ont gratté leur animal. Avec l’idée du multi-facettes et du caméléon qui s’adapte à chaque environnement, le caméléon est mis en scène selon le point de vue de chaque artiste. Monsieur Plume, Drope, Reix, Emyr, Allison, Jansky Beeat, Lugha, Thomas DaRookie, Stek & Absurde ont participé au projet. Un mini poster regroupant toutes les illustrations se trouve à l’intérieur du CD.
« (… )en privilégiant les collaborations en physique sur place, c’est plus convivial. »
- Tu as quelques collaborations sur plusieurs projets à ton actif, je pense évidemment au Center Coast, mais aussi à T.F.T.C. et d’autres… Tu peux nous en dire un peu plus sur ces collaborations et sur le collectif qui t’entoure ?
J’ai commencé par faire de la zik avec la CenterCoast, un collectif hip-hop avec 5 Mc (Spawn, Fuqua, ElieBaba, Gmaunoir, Absurde), un DJ (Dirtyfingaaz) et moi-même. On se produit sur scène depuis quelque temps avec une config’ live machine/mpd/scratch. On est en association depuis une bonne année, ce qui nous permet d’organiser pas mal d’événements. Ça nous permet également d’animer des ateliers pédagogiques pour un public jeune en utilisant la photo, la vidéo, l’écriture et le beatmaking. Bref, plein de projets en vue avec la CenterCoast… Sinon je suis aussi en lien avec d’autres collectifs, Le Phrazé, Koye, Artillerie de Salopards, Fab (RueDeLaCulture) essentiellement sur Tours et environ. C’est tous des potes, ou alors, ils le sont devenus par la suite ce qui est encore mieux ! J’ai participé aussi à un projet géré par The French Touch Connexion, une méga compilation de trip-hop qui regroupe 40 beatmakers, (Métronome, Proleter, Mani Diez, Hugo Kant, Kognitif, Goomar, SmokedBeat, EikoNoklast…) fat projet à écouter sur Bandcamp « Mysterious Lane » by TFTC. Autres apparitions sur d’autres compils’ avec MonkeyMarginalArt sur des compils’ à thèmes. Après je collabore avec d’autres personnes via internet et toute personne que je croise sur ma route tout en privilégiant les collaborations en physique sur place, c’est plus convivial…
- Ça peut peut-être te donner des opportunités pour te produire en live un peu partout ?
Yes je me produis depuis fin 2014, j’ai monté un petit live petit à petit. Je suis accompagné de EikoNoklast au scratch lors de mes lives et j’invite souvent les emcees avec qui je collabore pour rapper quelques morceaux. Pour l’instant j’ai fait pas mal de bars à Tours (Citizen, Détroit, L’huricane, Canadian), un festival « Le Potager Électronique » et pas mal d’autres dates sont encore à venir. Après c’est pas ma priorité et ça prend pas mal de temps tout ça, mais quand je peux concilier le temps passé avec ma petite femme, mon taf et la zik, là, y’a pas de soucis pour les concerts !
- Vu que tu as commencé par l’électro, que tu passes à l’abstract, ce n’est peut-être pas impossible que ta musique évolue encore ?
Tout à fait ! J’ai encore pas mal d’idées derrière la tête, notamment pour les versions live, j’ai envie de faire bouger et pas seulement les têtes héhé… Et en effet je ne suis pas du tout arrêté dans l’abstract/hip-hop, justement j’ai pas de barrières musicales ce qui me permet d’aller où je veux !
- Cette question sort du cadre de la présentation de l’album (quoique) pour se centrer plutôt sur ta façon de penser… Quel regard portes-tu sur la production de la musique ? À ton échelle et d’après le milieu que tu fréquentes, tu as un avis particulier sur son mode de diffusion, un état d’esprit particulier ?
Pour moi la production musicale c’est une sorte de thérapie, elle me sert à décrire et faire sortir des émotions sur l’instant T. La musique ne parle pas. C’est plus direct, plus franc. Ça peut te faire remonter 60 ans en arrière ou voyager dans le futur en quelques secondes. Elle touche tout le monde et peu importe si la personne veut écouter ou non, elle ressentira quand même une émotion, bonne ou mauvaise. Dans mon parcours je vois surtout la musique comme un moyen d’échange, ça rapproche les gens. Pratiquement toutes les personnes avec qui j’ai commencé à faire de la zik sont devenues des potos, et ça, y a rien de mieux !
- Demain c’est loin, paraît-il, mais ça n’empêche pas d’y penser… Il y a peut-être des projets ou des idées dont tu voudrais parler et qu’il t’intéresserait de mettre sur pied ?
J’ai pas mal de projets en tête, surtout concernant le live. J’ai envie d’y intégrer de la vidéo, de l’animation, histoire de rentrer vraiment dans un univers. J’essaie de trouver différents moyens de pouvoir jouer avec mes pads en live, que ça vive plus! Ensuite je suis sur d’autres projets à caractère social. Je monte, au fil des années, un atelier Beatmaking pour jeunes, et, étant éducateur, je propose ça dans des établissements spécialisés (ITEP, MECS, maison d’arrêt), c’est un peu ça que je veux faire, pouvoir mixer mes deux « passions ». Et c’est vraiment top de pouvoir partager ça avec des jeunes, leur montrer que si on veut, on peut faire plein de choses de sa tête et de ses mains.
Voilà voilà, je suis arrêté sur rien dans la zik et on verra bien où la musique nous mène pour la suite… Merci à toi d’avoir consacré de ton temps pour mieux connaître mon univers ! VATSA!!!
En plus de son album, un tour sur son Soundcloud vous permettra de prolonger le voyage si l’univers vous a plu.