Capitaine Thomas Sankara, de Christophe Cupelin : à l’ombre des baobabs et des manguiers, la révolution prolétarienne des Hommes Intègres.
La Haute-Volta a acquis son indépendance en 1960, après plus d’un demi-siècle de colonisation française. Ensuite, les coups d’État se succèdent, un militaire chassant l’autre. Ce pays sub-sahélien (sans côtes maritimes, enclavé entre la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Bénin, le Togo et le Ghana) est alors parmi les 10 plus pauvres de la planète.
En 1983, le marxiste Thomas Sankara (également soldat comme l’indiquent l’arme qu’il porte à sa ceinture, son béret rouge étoilé et son uniforme kaki) prend le pouvoir. Fils d’un Peul et d’une Mossi, celui-ci, qui voulait devenir médecin, a fait ses armes à l’étranger, en France chez les parachutistes ou à Madagascar où il a perfectionné son français. Sous son impulsion, le pays va changer de nom, pour devenir l’actuel Burkina Faso (« le Pays des Hommes intègres »).
Musicien, sportif, orateur talentueux et plein d’humour, fin lettré, philosophe (il cite Aristote (384 av. J.-C. – 323 av. J.-C.) lors d’un discours à la tribune de l’Onu en 1984 : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger »), fédérateur panafricain, pacifiste (l’arme qu’il porte est apparente et bien inoffensive comparée à celles que cachent et fourbissent ses homologues et adversaires politiques), progressiste, ce jeune dirigeant africain est pétri d’énergie et de belles intentions humanistes.
Tout d’abord, apporter de la joie à son peuple. Tel est, en substance, le fil conducteur de son programme politique.
Pour ce faire, rompre avec l’esprit passéiste post-colonialiste qui appauvrit le pays contraint d’importer ce qu’il pourrait lui-même produire. Ensuite alphabétiser la population. Lui redonner confiance et dignité. Puis lutter contre la désertification et planter des millions d’arbres ou construire des barrages et des puits villageois. Mais aussi se battre contre les inégalités sociales criantes (et fermer, ce qui pourrait sembler anecdotique mais est hautement symbolique, les night-clubs – lieux prisés par la bourgeoisie festive où se vendent des canettes de Coca pour une somme équivalente au salaire d’un ou plusieurs mois de salaire d’un paysan pauvre ; et ouvrir en contrepartie des bals populaires moins élitistes où la canette est vendue 50 FCFA*). Ou contre le sort réservé aux femmes (en particulier l’excision), que d’obscures traditions maintiennent sous la férule des hommes (eux-mêmes dominés par l’impérialisme qu’il s’agit d’éradiquer). Ou contre la dette de l’État qui empêche le pays de sortir la tête de l’eau.
« Un soldat sans corpus politique ou idéologique est un criminel en puissance. »
Ce vaste travail d’émancipation, de conscientisation, s’il porte ses fruits et rend Sankara populaire auprès des couches les plus défavorisées du pays (qui représentent également l’immense majorité), est néanmoins assez mal vu des Occidentaux comme des dirigeants africains qui se sentent menacés par ces utopies communistes mises en application avec un certain succès et une réelle finesse d’esprit. On voit ainsi le président François Mitterrand (1916 – 1996) reconnaître les qualités du fougueux et impertinent capitaine devenu chef d’État mais déplorer, avec une certaine condescendance, que ce dernier, trop « tranchant », aille peut-être un peu trop loin dans la mise en œuvre de son anti-conformisme révolutionnaire.
Le leader du Conseil national de la révolution (CNR) n’aura néanmoins de cesse de combattre la « Françafrique »** avec vigueur pour améliorer le sort de ses compatriotes. Jouissant d’une grande popularité, guitariste à ses heures perdues, il côtoie aussi bien le Nigerian Fela Kuti (1938 – 1997) que le déjà très controversé Libyen Mouammar Kadhafi (1942 – 2011) ou le Cubain Fidel Castro (voir photo ci-dessus).
Le 15 octobre 1987, âgé de 38 ans, avec 12 compagnons, il tombe dans les rues de Ouagadougou sous les balles des putschistes de Blaise Compaoré, « fidèle » ami et jusque-là bras droit et confident de Sankara. B. Compaoré va rester président jusqu’en 2014, avant de démissionner à cause de soulèvements populaires se réclamant justement des idées sankaristes.
« Tandis que les révolutionnaires en tant qu’individus peuvent être assassinés, vous ne pouvez pas tuer les idées. »
Capitaine Thomas Sankara pourra sembler hagiographique ou parti pris, mais sans démesure aucune. Car la personnalité de cet homme est réellement originale et très attachante. Et puis, n’a-t-il pas permis à un pays où l’espérance de vie des femmes ne dépassait pas les 32 ans d’entrer en quelque sorte dans la modernité, en insufflant de salutaires idées écologistes, féministes et éthiques?
Ce documentaire ponctué d’images d’archives historiques surprenantes (du temps où Noël Mamère et Henri Sannier présentaient les JT d’Antenne 2 et FR3) a fait l’objet d’une séance unique, suivie d’un débat public, à l’Arvor le 14 février 2016, co-organisée par les bénévoles de l’association Survie – que vous pouvez à toutes fins utiles rencontrer les 1ers mercredis de chaque mois à la MIR, quai Chateaubriand (1768 – 1848), à Rennes.
* 10 euros : 6560 francs CFA (francs des colonies françaises d’Afrique, abrégé en FCFA).
** Que dénonça en son temps François-Xavier Verschave (1945-2005), qui fut président de l’association militante Survie.
Capitaine Thomas Sankara – Il a osé inventer l’avenir, documentaire suisse de Christophe Cupelin – Sortie le 25 novembre 2015 – Durée : 1h30.