Passé maître ès récit des amours féminines depuis Far From Heaven (avec Julianne Moore), Todd Haynes récidive avec Carol, splendide mélo néoclassique adapté du roman éponyme de Patricia Highsmith et inspiré de l’univers de Douglas Sirk, des tableaux d’Edward Hopper et de la photogénie de Saul Leiter. Délicieusement sensuel et vintage !
Dans le New York des années 1950, Therese Belivet (Rooney Mara à la frimousse audreyhepburnienne) croise le regard de Carol Aird (Kate Blanchett impériale) dans un magasin de jouets de Manhattan au moment des fêtes de Noël. Dès lors, elle ne le lâchera plus. La frêle et timide employée aux joues rosies va emprunter la route chaotique de la mère de famille distinguée, victime des conventions. Jusqu’au bout du chemin.
À l’arrière d’une voiture, une jolie brunette à la chevelure lisse et au regard point d’interrogation pose sa tête contre une vitre embuée aux tons ocres, le son se brouille, le temps recule, décline quelques plans accélérés, se reconjugue au présent. Le visage observe des silhouettes de couples noctambules dans les rues de New York. Excitation et sourire pour les amoureux de la photographie (et les autres évidemment). Les sublimes images-reflets colorées qui défilent rappellent les clichés argentiques de Saul Letter, source d’inspiration du réalisateur Todd Haynes, loin du numérique contemporain et des long-métrages 2.0. À la faveur du super 16mm, le chef opérateur Ed Lachman restitue l’élégance des films papier glacé avec du grain et une lumière douce et cotonneuse, soutenue par un montage son qui enveloppe les personnages et s’évade dans leur psyché. Hommage à la pellicule encore à travers le personnage de Thérèse aspirante-photographe et une reconstitution des années cinquante avec des Américains plus vrais que nature façon Robert Frank, autre spécialiste des captures de rue.
Mais Carol ne pourrait se résumer à un somptueux port-folio aux images-vitrines. Nulle beauté factice qui resterait décorative chez Todd Haynes. Bien au contraire, un long-métrage pur jus de mélo à la sensualité abrasive et à l’esprit frondeur. Le réalisateur filme l’attirance charnelle immédiate qui consume deux héroïnes féminines, histoire d’amour prohibée et amorale dans l’Amérique puritaine des fifties. Peu de dialogues et de gestes quotidiens mais des silences, des regards et des corps en mouvement. Corps-charpente de Carol, sculpturale icône aux tailleurs cintrés et à l’assurance qui s’évapore dans les volutes de cigarettes. Et corps-échafaudage de Thérèse menu, maladroit et délicat, prisonnier de col-Claudine, serre-tête et jupe plissée. Effet des vases communicants. Carol raconte l’attraction, l’union et la transformation de ces femmes au contact l’une de l’autre. Libération des esprits et de leur camisole physique. Le dernier regard pied-de-nez à la morale, filmé en caméra subjective, répondra aux balbutiements de la première rencontre. La maturité (re)trouvée.