La collection CasaNostra éditée chez Sixto réunit un auteur et un dessinateur sur le thème du polar. Les albums peuvent se lire de façon indépendante car à chaque histoire correspond une ville du Grand Ouest telles que Rennes, Nantes ou Saint-Malo.
Se déroulant dans notre chère ville de Rennes, Danse Macabre raconte l’histoire d’un journaliste parisien nommé Lazare qui débarque en Bretagne pour couvrir le procès d’un meurtre crapuleux. Le principal suspect lui clame son innocence pendant une interview. Il sera retrouvé mort dans sa cellule le lendemain dans des circonstances mystérieuses. De fil en aiguille, Lazare plonge dans une enquête qui lui révèle la face cachée d’une ville qui recèle de sombre secrets, impliquant les notables de la ville dans une sordide histoire de prostitution…
Le scénario d’Olivier Keraval décrit une vie de province poisseuse et oppressante évoquant l’univers d’un Chabrol. L’ouvrage illustre le rapport à la ville contemporaine, noire et tentaculaire. Au fil des pages, l’ambiance se fait de plus en plus lourde, le parcours dans la ville de Rennes et ses lieux emblématiques (la tour des Horizons, le parc du Thabor, la bibliothèque des Champs Libres…) au départ réaliste devient de plus en plus irréel, comme pour souligner la progression du récit vers l’indicible en nous entraînant dans les souterrains labyrinthiques d’un monde parallèle maléfique. Par moments, le récit devient quasiment fantastique ce qui fonctionne bien avec les dessins au fusain de Luc Monnerais dont la composition très dynamique de l’image sert une action haletante.
Dans une ambiance très différente, Saint-Mal ose un scénario poétique s’écartant du polar classique. On y suit un jeune Ukrainien nommé Niejdan au cours de son errance dans la ville de Saint-Malo. Il y croise un marginal alcoolique ainsi qu’une jeune femme qui semble en proie à une étrange folie. Lui-même cherche son père tout en discutant avec des fantômes. C’est bien malgré lui qu’il se retrouve pris en otage par des mafieux, les chiens de Cave Canem…
Le dessin de Lambda en noir et blanc à l’encre de Chine s’écarte du réalisme avec une touche qui rappelle les expérimentations dessinées des 70′s aux faux airs de Topor. La mer est omniprésente, noire et effrayante, toujours prête à absorber les protagonistes. L’océan est un des personnages de cette histoire qui est également un hommage aux victimes de Fukushima en 2011, d’où son aspect sombre et menaçant. On reconnaît l’architecture, la plage et le phare Saint-Malo mais dans un univers parallèle, très différent de la cité touristique que l’on connaît : il s’agit d’un double irradié et perfide, dont toute vie semble absente.
Sixto, maison d’édition bretonne, se consacre aux littératures policières : polar, thriller, intrigue, roman noir. Si ces littératures sont plurielles, toutes explorent un indicible : le passage à l’acte. Avec un angle de vue propre à chacune, elles interrogent sa mécanique, sa logique, ses résonances sur une trajectoire de vie et les réponses que les sociétés et les époques vont y apporter. Elles sont un outil d’investigation sans égal pour décrypter un milieu, une ville, des mentalités, un pays et son histoire. Décrypter et bien souvent dénoncer aussi, avec l’efficacité qu’autorise le mirage de la fiction. Les littératures policières portent un regard lucide sur leur temps.
Saint-Mal de Lambda et Danse Macabre d’Olivier Keraval et Luc Monnerais, éditions Sixto, 17,90 euros.