Heureusement, il n’est jamais trop tard pour découvrir des disques. La guerre ne fait que continuer, le dernier album de Monsieur Saï est sorti en juin 2015. On a seulement quelques mois de retard pour reprendre la guerre en route.
Monsieur Saï, c’est une plume qui trace son chemin de pensée au milieu de « 65 millions de grimaces » et où « la soupe est toujours un peu dégueulasse ». Une plume qui crache, qui vomit toute sa caféine sur une page déjà tachée par l’histoire et le torrent de boue frontiste que rien ne semble arrêter. Monsieur Saï écrit dans un contexte et ne le perd pas de vue. Monsieur Saï a bien choisi son nom : le saï est une arme asiatique.
« Un ramassis d’escrocs notoires qui s’prostituent pour un empire,
et la banque à qui parler, j’aurais deux mots à lui dire »
Avec un flow qui rappelle celui de Arm de Psykick Lyrikah, Monsieur Saï déroule son introduction du « haut de son ulcère » avec un « dernier verre avant la guerre »; 4 minutes pour rappeler avec toute la brutalité d’un son noise celle du monde environnant. Ce qui ne s’améliore pas avec l’introduction de « 65 millions de grimaces » qui en un sample rappelle ce « faits divers » du lynchage d’un jeune rom en Seine-Saint-Denis l’an passé; de quoi gratter quelques lignes sur l’incapacité de la France à rendre « la différence acceptable », les inégalités sociales, le droit de vote, et cet homme décérébré qui reste « une bouche et un sphincter ».
Jusqu’ici, vous avez déjà mangé environ 10 minutes d’un son brutal agrémenté du free jazz noise servi par le saxophone de Arth?, et avec des textes que Kyma aurait appelés « le spectacle des choses qui ne se disent pas ». Vous commencez donc à sentir une certaine tachycardie vous envahir, déjà accentuée par votre lecture appliquée des informations matinales et votre dégoût du réveil-matin. C’était sans compter sur une bonne dose de « caféine » qui vous sera servie sur un son industriel, pour vous rappeler que vos journées sont trop courtes et que vous passerez sûrement la nuit à parler anarchie avec votre chat. Monsieur Saï, heureusement, sait aussi manier une certaine ironie. L’hommage aussi.
« J’te donne un indice, c’est un style musical qu’on a traîné dans la pisse, entrainé dans l’biz pour le vider d’sa substance, la rébellion oui mais pas l’intelligence, il n’est resté qu’la violence, et des hymnes à la fête inoffensifs et profitables, pour le vendre à des ados qui s’complaisent en consommables » Peu de gens le savent
Avec « Peu de gens le savent » (dont l’esthétique musicale s’avère proche de « Pétrodollars » sur le dernier album de La Gale que nous vous conseillons fortement), Monsieur Saï balance avec un autre emcee, Rico, tout son amour du rap et ce qu’il y a trouvé : des sources de réflexion et d’apprentissage, ce qui n’est pas sans rappeler le refrain de « Lecture aléatoire » de Médine sorti en 2007 : « sais-tu ce qu’est le rap français ? Pas une machine à sous mais une machine à penser ». Du poisson mort de la Scred connexion au Petit frère chez I Am, Monsieur Saï revendique ses influences et ce en quoi le rap français pourrait amener à une « Guerilla recreation ».
Avec des punch-lines efficaces, des ambiances sonores qui embarquent bien souvent dans les sphères des guitares électriques noise, le emcee qui déplore tout autant l’environnement politique que l’environnement du rap (« j’entends qu’le rap politique c’est mort et que ça gonfle l’auditeur ») assume autant ses opinions que le refus d’être leur « homme-sandwich ».
« Militante hystérique, à tes risques et périls »
Plus rare (pour ne pas dire quasi inexistant) dans le rap, Monsieur Saï se pose en féministe, démontant un à un les poncifs du « Mauvais genre » qui n’est « même pas dans l’histoire ». La femme réduite à une mère, à une sœur, à une consommatrice, à une potiche dont les diplômes ne valent rien, qui provoque quand elle marche; un titre rare et un propos qui mériterait une place plus large sur scène comme dans les débats publics. Du chemin qui reste à faire, et des montagnes de doutes pour tenter de trouver des réponses; des insomnies politiques, comme un « boycott du rêve », la « crainte de ne pas y arriver », et ces montagnes de questions qui n’ont aucun sommet. Monsieur Saï en conclut que « la sagesse ne viendra jamais ». Ce qui est certain, c’est que les sujets d’inspiration ne manqueront pas car comme disait Einstein, « deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue ». Mais ce titre plus personnel sur la sagesse et les insomnies n’est pas la conclusion du disque; « Le pendu et l’esclave » déverse avec des scratches nerveux toute la colère de ceux qui pensent que « la guerre ne fait que continuer ». Monsieur Saï est noir, mais Monsieur Saï rappelle aussi que « ce n’est qu’une chanson » et que même si les « certitudes de demain finiront dans un verre d’eau », « l’amour est subversif, le rire révolutionnaire ».
Concert le vendredi 27 novembre au Dejazey de Rennes pour Culture Bar Bars
La guerre ne fait que continuer - Un album de 10 titres de Monsieur Saï sorti le 23 juin 2015 chez Milled Pavement Records / SOMA Productions