La cavale du docteur Destouches. Un one shot chez Futuropolis consacré à Louis-Ferdinand Céline et à sa trilogie : D’un château l’autre, Nord et Rigodon.
Au texte… Christophe Malavoy… bon Dieu, savais pas qu’il était scénariste. Je juge pas… savais pas c’est tout. Malavoy, pour moi, ce sont des souvenirs de mioche, téléfilm sur l’affaire Seznec… je m’en rappelle, j’étais raide dingue de celle qui jouait sa femme… bref ! Il livre ici un projet plutôt ambitieux avec les frères Brizzi (Paul et Gaëtan). Adapter du Céline… non mais adapter du Céline… j’ai failli rire quand j’ai vu la bd… c’est à peine de l’ambition, presque plutôt du délire…
Z’avez lu le bougre ? Du délire… Qu’importe les polémiques… c’est un géant, un génie géant, fabuleux… et toutes les épithètes réunies.
Voir sur l’étalage de bds un ouvrage avec marqué dessus « La cavale du Docteur Destouches », avec la tronche emblématique de Ferdinand, caressant son chat… c’est des coups à franchir le parapet en criant « Mais quelle bande de con… adapter du Céline… Impôooossible ».
Et pourtant… c’est pas si mal…
Ce n’est pas une première pour Futuropolis d’adapter du Céline. Dans les années 80, il y avait eu le formidable travail de Tardi. Mais, il ne s’agissait pas ici d’une véritable adaptation, avec mise en scène propre de ce dernier… non il s’était contenté (par peur de trahir le grand écrivain sans doute) d’illustrer les premiers romans de Céline.
Je n’irai pas jusqu’à parler au nom de tous les inconditionnels céliniens… je ne parlerai qu’en mon nom, cela va de soi… en tant qu’amateur irréprochable du vieil aigri !
Sur les bouquins que le docteur a écrit, la trilogie adaptée ici est l’une des plus corsées. L’écriture n’est pas simple. On ne lit pas Céline n’importe quand… tiens comme ça sur un coup de tête, parce que l’envie nous en prend et qu’on a cinq minutes devant nous… pas du tout… Pour se plonger dans l’univers célinien, faut se préparer… parce qu’il faut bien quelques pages avant de rentrer dans la danse, de suivre le rythme, d’absorber tout ce que l’autre débite avec une fougue incroyable…
« il jette tout comme une expiation… »
Autant Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, ça se lit bien… sérieusement, c’est du grandiose, mais ça se lit bien… j’en sais foutre rien, mais peut-être que la raison est à chercher dans la chronologie… il écrit ça avant la guerre… donc avant la collaboration… donc avant qu’il devienne ce vieil aigri qui se victimise tout seul comme un grand… Alors quand il écrit sa trilogie (D’un château l’autre sera publié en 1957), il jette tout comme une expiation, pour se justifier aussi, il radote, il rengaine, il crache sa bile sur les intellectuels moralistes… il fustige…
Et ce côté expiatoire donne au roman tout son sel… mais le rend extrêmement complexe… ça débite grave. Du pur Céline. Du génie dans les silences, dans les pleins et dans les vides…
Donc adapter cela, vous reconnaitrez que ce n’est pas de la petite affaire. Il faut à la fois reproduire les textes, sélectionner, reprendre, agencer l’histoire pour qu’elle soit compréhensible et sensiblement proche du récit de Céline… et puis il faut que les dessins pénètrent l’univers célinien dans toute sa splendeur… c’est-à-dire filer entre le romanesque, le sensible, le loufoque, le grotesque… il faut que les dessins percent l’ineffable qui se cache dans chaque petits points… et ça… ça… c’est encore moins de la petite affaire.
Sérieusement, le boulot est réussi ici. On comprend, on suit, on nous trimballe chez la Ferdine, on nous pousse à coup de pompes pour le suivre dans sa fuite… on court dans les allées encombrées des hôtels miteux où se reflète la décadence d’un empire qui s’effondre… on rit beaucoup… on tousse chez le vieux docteur qui gratte des feuilles de papier et les épingle ensuite au-dessus de son lit de grand malade incompris… on prend pitié… on se dit que c’est un con parfois… un homme sensible, trop, attachant… menteur aussi… il est écrivain…
Tâche ardue d’adapter du Céline… j’enjoins n’importe qui d’essayer… Eh bien pari réussi !
La cavale du Docteur Destouches de Christophe Malavoy, Paul et Gaëtan Brizzi – Une bande dessinée de 96 pages parue le 10 septembre 2015 chez FUTUROPOLIS.