Le fils de Saul (Saul filia) : un film hongrois de László Nemes qui ne donne pas vraiment envie de grignoter du pop-corn.
On a parlé récemment du IIIᵉ Reich nazi et de ses retombées ultérieures dans les colonnes de l’Imprimerie, par le biais de la Rote Armee Fraktion qui souhaitait combattre les héritiers et les avatars de la pensée hitlérienne. Avec Le Fils de Saul, on plonge direct au cœur de ce système nazi, dans l’horreur et l’effroi que provoque la dissolution de la morale universelle, ce vernis protecteur aussi fragile que nécessaire. On accompagne le Hongrois Saul Ausländer (Géza Röhrig), membre d’un Sonderkommando. Ces hommes, prisonniers eux aussi, condamnés en sursis, officiaient dans les camps d’extermination disséminés un peu partout en Europe, comme ici, en Pologne.
« Accueillir » les déportés qui descendent des wagons à bestiaux où on les a entassés, trier les fringues, les valises, les biens de valeur, nettoyer en vue de la désinfection suivante (au Zyklon B) les chambres à gaz (qui turbinaient jour et nuit) souillées après chaque « douche » collective offerte aux nouveaux arrivants, enlever les corps des suppliciés, alimenter les fours crématoires en charbon et en cadavres, charrier les cendres… Les tâches à effectuer en cadence rapide, sous les aboiements et les coups des SS et des kapos, dans la fumée des corps qui se consument, sont proprement effroyables. Infernale machine aux rouages destinés aux crimes en série contre l’humanité…
Le fils de Saul retranscrit ainsi, dans une fiction qui se veut fidèle aux faits, un florilège des pires abominations commises par des « êtres humains ». Mais peut-on narrer l’impensable ? Peut-on mettre en scène, sans l’édulcorer et lui faire perdre sa substance, cette terrifiante réalité mise en place par Heinrich Himmler (1900 – 1945, suicidé), Hermann Göring (1893 – 1946, suicidé), Heinrich Müller (1900 – ?, disparu en 1945), Adolf Eichmann (1906 – 1962, pendu après procès), Reinhard Heydrich (1904 – 1942, mort des suites d’un attentat), etc., et alimentée par l’obscurantisme grégaire d’une Europe qui perdait la boule ? La cruauté innommable d’un système glaçant voué aux crimes génocidaires fait bien sûr froid dans le dos et remue désagréablement les tripes. Les premières minutes du film sont éprouvantes et justifient très amplement l’avertissement aux moins de 12 ans – tout en rendant cette recommandation presque dérisoire tant il est vrai que l’horreur et la guerre, la barbarie et l’ignominie à grande échelle, la folie meurtrière (née de l’ignorance, de la propagande et de la haine de l’autre), lorsqu’elles s’abattent, ne font pas de distinction d’âges ou de quoi que ce soit. Le devoir de mémoire s’impose néanmoins… surtout en ces moments où certain·e·s semblent ne toujours pas vouloir tirer de leçons du passé.
Des étincelles d’humanité surgissent ça et là (lorsque se mettent en place des actes de résistance aussi infimes qu’essentiels, lorsque les déportés s’organisent pour photographier ce qu’ils ont sous les yeux jour après jour, nuit après nuit, afin de témoigner de l’épouvante – voir ci-contre – ou lorsque Saul s’entête, et il n’y a peut-être plus que ça qui le retienne encore à la vie, à enterrer décemment et religieusement le corps d’un enfant qu’il prétend sien*). Elles suffisent à peine à réchauffer l’âme.
* Tel l’Antigone, de Sophocle, agissant pour que son frère Polynice bénéficie d’une sépulture digne.
Le fils de Saul (Saul filia) – Un film hongrois de László Nemes – Avec Géza Röhrig – Avertissement aux moins de 12 ans – Sortie le 4 novembre 2015 – Durée : 1h47