Une jeunesse allemande – Allemagne 1965-1977, de la bataille des images à la lutte armée de J.-G. Périot : un documentaire aussi fascinant que peu spectaculaire sur un mouvement révolutionnaire qui plomba l’ambiance en RFA.
« Le film appartient à 2 temps distincts : un passé dont presque tout nous sépare, et notre propre présent. » (Jean-Gabriel Périot)
L’article indéfini une souligne ici, et ce, dès le titre, qu’il ne s’agira pas de la jeunesse allemande en général, il s’agira d’une jeunesse allemande particulière, post-IIIᵉ Reich, d’après-guerre donc (avec ce que ça implique de traumatismes épais), particulièrement contestataire notamment vis-à-vis d’un proche « passé nazi et du rôle qu’y ont joué les “pères” » (Alain Brossat), revendicative, libertaire, universitaire, à la conscience politique aiguë, aiguisée. Et plutôt positionnée à l’extrême-gauche de l’échiquier politique communément admis.
Les aspirations de cette jeunesse allemande irrévérencieuse à l’égard des aînés ainsi qu’à l’égard d’un système capitaliste oligarchique (vécu comme autant de menaces, des repoussoirs, des verrues, des porcs, des étrons, bref, des exemples à ne pas suivre, sinon à abattre ou au moins à combattre) suivront d’abord des chemins plutôt conventionnels : activisme militant, journalisme engagé anarchiste, cinéma d’opinion pamphlétaire, manifestations contre les ordres établis, happenings, occupations de locaux universitaires, prises de parole radicale en public, etc., bref l’arsenal potache inoffensif). Peu à peu ces méthodes permises, tolérées, essentiellement intellectuelles et rhétoriques, feront place à un mouvement plus rugueux, plus violent, anonyme, clandestin, carrément meurtrier – et subséquemment réprouvé vigoureusement.
Ces groupuscules qui contestaient l’omnipotence des médias vont être voués aux gémonies par ces mêmes médias. Ces farouches opposants au système vont être systématiquement pourchassés, puis broyés par l’implacable système qu’ils souhaitaient terrasser.
« Comme le rappellent brutalement les interventions d’hommes d’État, dirigeants de partis et personnages de médias dans la dernière partie du film, l’épisode de la RAF a donné lieu, en Allemagne, à une explosion des passions et à une chasse aux sorcières – les terroristes et leurs “sympathisants”. » (Alain Brossat)
Globalement choyée, docile, prospère et grégaire, la jeunesse allemande (et la population dans son ensemble) ne va pas prendre parti pour cette frange extrémiste et agitée représentée par Andréas Baader (1943-1977) et consorts. Prudente et modérée, la jeunesse allemande, dans sa globalité, ne va pas choisir la voie armée de la Fraction Armée Rouge (ou Rote Armee Fraktion), a contrario d’une jeunesse allemande exaltée qui quant à elle (et pour son plus grand malheur) aura choisi le combat et la poudre pour faire avancer en Allemagne de l’Ouest, durant ces années dites « de plomb », ses idées révolutionnaires.
« Les télévisions allemandes n’ont commencé à archiver systématiquement leurs productions qu’à partir de la fin des années 70. Avant, la plupart des émissions n’étaient pas conservées et aujourd’hui on ne peut plus avoir accès qu’à des fragments sauvés au petit bonheur la chance. Du coup, alors même que l’imaginaire collectif autour de cette histoire est avant tout télévisuel, la plupart des images qui ont servi à le construire n’existent plus. » (Jean-Gabriel Périot)
Ce documentaire, à défaut de remuer des archives spectaculaires et sanguinolentes, agite quelques idées actuelles quant aux propriétés de la violence, rarement légitime d’où qu’elle vienne. Il souligne ainsi le hiatus inhérent, l’oxymore fatale, de ce mouvement utopiste de lutte armée qui « prit la décision de tuer froidement ses adversaires malgré des motivations humanistes et émancipatrices » (Jean-Gabriel Périot). Une jeunesse allemande montre ainsi le parcours d’étudiants en arts, porteurs de messages égalitaires, qui vont devenir des parias traqués et être considérés comme des terroristes sans foi ni loi. « La banalité du mal » pour reprendre le concept d’Hannah Arendt qui elle aussi s’appliqua à théoriser le nazisme et les conditions de sa prolifération n’épargne décidément personne.
« Au lieu de répondre politiquement à l’irruption de la lutte armée et d’en interroger les causes, on refuse dans un premier temps que certains puissent penser son existence, tous ceux qui s’y aventurent deviennent des “sympathisants”, on dirait aujourd’hui qu’ils font “l’apologie du terrorisme”, puis on refuse qu’ils questionnent ou critiquent les flopées de lois sécuritaires et policières qui ne manquent pas d’être mises en place après chaque attentat. »
« Pourtant, et c’est ce que raconte le film en prenant le temps de montrer qui étaient certains de ces “terroristes”, toute décision de prendre les armes découle d’une logique. » (Jean-Gabriel Périot)
Nota bene : le film est heureusement accompagné d’un livret explicatif, incluant notamment des portraits des membres de la RAF morts « en captivité » dans les prisons de Stammheim ou de Wittlich : Gudrun Ensslin (1940-1977, retrouvée pendue dans sa cellule le 18 octobre), Ulrike Meinhof (1934-1976, retrouvée pendue dans sa cellule le 8 mai), Holger Meins (1941-1974, grève de la faim menée à son terme), Andréas Baader (1943-1977, retrouvé « suicidé » d’une balle dans la nuque le 18 octobre) ; ainsi qu’une conversation éclairante entre le réalisateur Jean-Gabriel Périot et Alain Brossat, professeur de philosophie à Paris 8.
Une jeunesse allemande – Allemagne 1965-1977, de la bataille des images à la lutte armée, documentaire de Jean-Gabriel Périot – Durée : 1 h 33 – Prix SCAM du jury international, Cinéma du réel (Paris) – Meilleur premier film, Lima independiente film festival – Sortie le 14 octobre 2015.
Pour voir d’autres œuvres de Jean-Gabriel Périot : www.jgperiot.net