Pepso Stavinsky + Rezo = Rezinsky. Au-delà d’être un album, Rezinsky est un univers entier, qui attache beaucoup d’importance à son iconographie, qu’elle soit illustrative ou vidéographique. Les Hérétiques, 7 titres, 7 visuels. Et un monde fantasmatique parachuté depuis la lune.
« Bienvenue chez les Borgia » annonce Pepso sur « Caligula »; les Borgia, famille italienne qui marque le XVe siècle par sa réputation sulfureuse; le projet de Pepso et Rezo ne l’est pas moins. Mais le terme hérétique a pris une connotation négative au fil des siècles avec l’église, et il ne faut pas oublier son origine première : l’hérésie chez les Grecs est un jardin d’Éden. Celui du XXIe parait plutôt mal foutu, pollué et plein de vices. C’est sur cette tension entre « ce qui sort du cadre et provoque », et une ode aux plaisirs de la chair que nos deux hérétiques jouent au fil de ces 7 titres.
Depuis son premier projet Voir la lune, le rappeur Pepso Stavinsky a affiné son flow, et n’a pas renié sa démarche poétique et rêveuse; comme il l’affirme sur « Une parmi les milles », son rap ne vient pas de la rue mais de la lune. Pour l’accompagner, les productions sont servies par le beatmaker Rezo, qui réussit totalement le pari d’une ambiance sonore en cohérence totale avec les textes; entre un boom bap posé et de belles envolées mélodiques.
« J’dis ça, j’ai rien contre les putes hein »
« Ben alors, qu’est-ce que t’as contre les femmes ? » Tchao Pantin
« Jolie môme », c’est une petite perle au milieu du disque; introduite par le dialogue du film culte Tchao Pantin (réalisé par Claude Berri en 1983 et révélant tout le talent de Coluche à l’écran), « Jolie môme » c’est une interrogation sur la solitude des femmes, sur les sentiments que l’on refoule, un personnage imaginaire dont le emcee aimerait bien pouvoir espionner la fragilité; un clin d’œil également au grand Léo Ferré qui avait composé la chanson en 1960 et à qui il emprunte quelques phrases. Pour accompagner cette héroïne funambule, un clip superbe, une vraie réalisation cinématographique signée Noémie Fansten et Olivier Garouste où Pepso jouerait à la fois le clown triste et le monsieur loyal d’un cirque nostalgique et pastel.
Si la rime provoque l’image, c’est bien un pan du projet qui est consacré aux arts visuels; après un premier clip plutôt barré réalisé par Damien Stein, c’est surtout l’illustrateur Silas qui a signé l’ensemble de l’identité de Rezinsky; couleurs pastels, aquarelles sensibles, une pour chaque titre et un portrait pour chaque artiste. Un travail soigné et sensible parfaitement en résonance avec le projet.
Alors ils sont où ces fameux hérétiques ? Rédigeant déjà son épitaphe jusqu’à trainer des pieds d’un air blasé sur « Cesare », Pepso trimballe ses punchlines hors normes; un hérétique de ce rap où les « emcees ont vendu leur mère » ? Un hérétique qui cherche la provocation ? Les hérétiques seraient-ils ceux qui souhaitent faire « goûter leur luxure » (« Caligula ») ? De « retourner danser avec les filles du diable » ? L’hérésie serait-elle de prendre ses humeurs comme des saisons avec « Novembre » en duo avec Safirius ? Un texte pour parler de l’ivresse d’écrire ou de l’ivresse tout court, thématiques nocturnes qui oscillent autour du stylo et glissent sur la platine gorgée de soul.
« Des tonnes d’allégories cachées sous d’étranges cheveux,
c’est pas un égotrip non c’est l’chant d’un esprit caverneux »
Avec « Une parmi les milles », Pepso interroge son écriture, qui navigue entre un surréalisme visionnaire et une errance poétique (les soirs de lune donc). Alors l’hérétique, ne serait-ce pas la plume elle-même ? La façon de parler des femmes, rêvées, trompées, haïes, de tracer les contours d’un visage flou dans le reflet du miroir que chacun contemple ou affronte. C’est plutôt le combat qui ressort avec « W.A.S.P », où s’invitent Eli Mc, Le Bon Nob et Pand’or. Des plumes solides sur une ambiance lourde, qui parle du « Je », qui interroge les trajectoires et les stéréotypes. Un exutoire efficace qui invite à tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler.
Pepso et Rezo ont tourné la leur sur 7 titres qui s’avèrent aussi inventifs que poétiques. Un projet hors-normes qui sort des sentiers battus. Les Hérétiques, ou comment sortir du cadre et des codes pour laisser dévaler les mots sur la face d’un vinyle. Ou de la lune.
Les Hérétiques – 7 titres auto-produits signés Rezinsky – Sorti le 1er juin 2015 – Pepso Stavinsky + Rezo + Silas + Dj Sy + Dj Venum + Eli Mc + Le Bon Nob + Pandor + Safirius