C’est un constat accablant : chaque jour au Québec une trentaine de jeunes décrochent du système scolaire. Le phénomène n’est pas nouveau, il est depuis vingt ans une préoccupation majeure des politiques publiques québécoises. En activité depuis 2000, Cybercap est un organisme à but non lucratif qui vise à « La réintégration socioprofessionnelle et à la prévention du décrochage scolaire, par l’expérience du multimédia ». Un « entrepreneur social« , dont la création remonte à une période charnière : lorsqu’à la fin des années 90, la ville de Montréal encourage le développement de sa « Cité du multimédia« , tandis que la lutte contre le décrochage scolaire devient l’un des enjeux phares de la belle province.
« Il faut se remettre dans le contexte de l’époque« , rappelle Christian Grégoire, fondateur et actuel directeur général de CyberCap. Lors de la création du projet, l’organisme est au coeur d’une double réalité. Le secteur du multimédia est en plein essor, et chacun imagine aisément l’importance que prendra le web dans les années à venir. Mais à la fin des années 90, internet n’est pas encore au centre de l’écrasante majorité des entreprises et des foyers, « Nous n’étions même pas en réseau » se souvient-il.
Au cours de l’année 1997, le gouvernement du Québec entreprend de donner un coup de pouce au développement du secteur. Les politiques publiques décident de revitaliser l’ancien « Faubourg des Recollets » au sud de Montréal, et choisissent d’y implanter leur programme de « Cité du Multimédia ». Les entreprises du numérique qui s’y installent, reçoivent des subventions à la création d’emplois. La sauce prend mais le concept se dénature au fil du temps. L’essor immobilier gagne sur l’installation massive des entrepreneurs du numérique. Certains comme Ubisoft, préférant implanter leur locaux dans des quartiers aux loyers moins onéreux. Avec le changement de gouvernance en 2003, les libéraux décident de mettre fin au programme de subvention de « La Cité du Multimédia », mais maintiennent la lutte contre le décrochage scolaire au rang de leurs priorités.
Profiter de l’attrait grandissant qu’exerce le secteur multimédia auprès des jeunes.
Car depuis le milieu des années 90 le décrochage inquiète, tant il parait ne pas fléchir. Pour l’année 2000 : 26 % des jeunes du secondaire du réseau public quittent l’école sans obtenir de diplômes (source Le Devoir). En 2008, ils sont 28% ! Cybercap nait de l’idée que pour endiguer le phénomène, il faut savoir profiter de l’attrait grandissant qu’exerce le secteur multimédia auprès des jeunes. L’organisme s’en va convaincre les décideurs de l’intérêt du projet. « Nous ne correspondions à rien de connu, se souvient Christian Grégoire, Mais nous nous sommes appuyés sur la motivation intrinsèque qu’exerçait le secteur ». Nombre de chefs d’entreprises et de politiques soutiennent la création de l’organisme, et en 2000 un projet pilote est lancé.
Les premiers participants intègrent le programme dès novembre 2000. Un coup d’essai qui se révèle être rapidement une réussite, dépassant les attentes en terme de réinsertion socio-professionnelle, souhaitée par ses principaux partenaires, dont Emploi Québec.
Depuis maintenant quinze ans, CyberCap accueille des jeunes en situation de décrochage scolaire ou n’ayant pas obtenu leur diplôme du secondaire (niveau collège). « TransiTIon » constitue le projet-phare de l’organisme. Ce programme de 6 mois, propose aux jeunes entre 18-25 ans, n’ayant pas leur diplôme secondaire et n’occupant aucun emploi, de se familiariser avec l’apprentissage de la chaîne de production numérique, l’infographie, la vidéo, l’intégration web ou l’animation. « Il y avait tout un bassin de jeunes qui n’attendaient que ça« , explique Christian Grégoire : « Le problème était d’éviter la confusion : CyberCap n’est pas une école !
Car l’organisme n’est pas un compétiteur au réseau scolaire. La mission de CyberCap se limite à proposer, comme le rappelle son directeur : « Un continium de services, afin de minimiser le temps d’arrêt des jeunes dans leur parcours scolaire« . Une quinzaine de personnes travaillent pour CyberCap, et un tiers d’entre elles (les formateurs) sont issus de l’industrie du multimédia. La plupart des membres rejoignent l’organisme pour cette mission sociale à laquelle ils croient.
L’intégration au programme TransiTIon de CyberCap se déroule de la manière suivante. Cela débute par une rencontre entre les membres de l’organisme et la personne déscolarisée. Sont évoquées ses difficultés, sa motivation à participer au programme, ses disponibilités à le faire. Une séance d’information obligatoire qui permet d’expliquer d’emblée, les grandes lignes du parcours, et d’instaurer une relation de confiance. L’inscription doit, par la suite, être approuvée par Emploi Québec.
Les élèves ne sont pas évalués sur la qualité du travail rendu.
Débute alors le programme en temps que tel. Six mois durant, 2 groupes y participent simultanément (4 par année). Entre le 1er et le 3e mois, les nouveaux venus à CyberCap, apprennent à se familiariser avec les technologies du multimédia : « À la manière d’un buffet dans lequel leurs seraient proposées différentes activités » explique Christian Grégoire. Ils vont choisir les domaines avec lesquels ils se sentent le plus en affinité,. Les premiers travaux commencent dès le début de leur deuxième semaine, avec la conception et la réalisation d’un site web.
Arrivés plusieurs mois avant eux, impliqués dans d’autres projets, les « Anciens« , travaillent à quelques mètres seulement des « Nouveaux« , dans d’autres locaux du bâtiment. Cette distinction « géographique » entre les nouveaux venus et les tauliers, se veut symbolique mais jamais formelle. L’échange et l’esprit de coopération sont au cœur de TransiTIon. Les « Anciens » filment l’arrivée des « Nouveaux » lorsqu’ils débutent le programme, et les épaulent le long de leur parcours. Durant les 3 premiers mois, 3 ou 4 projets sont ainsi réalisés, pour l’organisme lui-même, ou pour plusieurs partenaires. Les élèves ne sont pas évalués sur la qualité du travail rendu, « Ce ne sont pas des salariés« , insiste Christian Grégoire. D’autres impératifs, tel le respect des échéanciers font offices d’évaluation.
Car si l’organisme offre une main tendue aux personnes déscolarisées, il leur demande en échange un réel investissement. Les règles sont exigeantes, volontairement proches de celles d’une entreprise. Les élèves sont tenus de respecter les contraintes horaires, et les dates de rendu des projets. Ils travaillent 7 heures par jour : de 8h30 à 16h30, avec une pause de 30 mn en matinée, une autre durant l’après-midi.
À la fin de ces 3 mois d’initiation, les participants se préparent à la seconde phase du programme. Ils devront s’approprier des projets destinés à de vrais clients. Pour introduire cette seconde étape ou les « Nouveaux » gagneront leur titre d’ »Anciens« , les projets sont affichés aux murs de CyberCap, comme le seraient de véritables offres d’emplois. Ils sont de natures différentes, et les participants choisissent des projets compatibles avec leur potentiel, et correspondant le mieux aux intérêts qu’ils ont manifestés au début de leur parcours. Ils effectuent ensuite un entretien auprès du responsable de projet, et de la directrice des interventions qui les suit depuis leur arrivée. Ce passage obligatoire leur permet de se familiariser avec le processus d’embauche, d’évaluer leur motivation, et de dresser un bilan de ces 3 premiers mois passés à CyberCap.
Aucun des projets qui leur sont proposés n’a de visée commerciale. Il s’agit essentiellement de travaux de com’, pour lesquels les compétences requises ne demandent pas d’importantes qualifications techniques. Parmi les partenaires de l’organisme, plusieurs grands noms de l’industrie du multimédia, comme Microsoft ou Ubisoft.
Quel bilan, au terme de ces 6 mois passés à CyberCap ? Selon les estimations, près des 2/3 des participants sont relancés, remotivés à revenir aux études. Très peu entameront une carrière dans le domaine du multimédia (les exigences n’y étant pas les mêmes), mais la majorité désire reprendre le chemin de l’école afin d’y obtenir un diplôme. Le passage par CyberCap permet aux personnes déscolarisés de reprendre confiance en elles, d’acquérir de multiples compétences et d’ajouter quelques lignes à leur CV. Comme le rappelle Christian Grégoire, l’équation est malheureusement souvent la même : « Sans scolarité, pas de diplômes, donc pas de CV et généralement pas d’emploi.«
Aujourd’hui, les chiffres du décrochage scolaire sont en recul au Québec.
L’organisme ne ménage pas ses efforts, et agit également en amont, afin de prévenir le décrochage scolaire. Le programme « MÉDIATIC » (TIC pour technologies de l’information et de la communication), permet aux élèves entre 11 et 17 ans de découvrir ces technologies dans le cadre de leur parcours scolaire. Ils participent à des programmes d’expérimentations qui leur permettent de réaliser leurs propres productions numériques. Enfin, ils effectuent un stage d’observation auprès de professionnels. Des visites de classes sont aussi organisées dans les locaux de l’organisme, avec de nombreuses activités autour de l’infographie, de la retouche d’image, de la découverte des effets visuels (fond vert). Chaque années, 30 classes environ viennent visiter les locaux de CyberCap.
Depuis sa création, le projet a fait des émules. En France, la ville de Gonesse a récemment mandaté un consultant pour venir visiter le site. Une délégation de CyberCap a également pu se rendre en France, et rencontrer le député-maire de la ville. L’un des axes de travail prôné par l’organisme québécois est la mise en valeur d’un modèle incluant une participation « communautaire-privé-publique », dans un esprit de partenariat.
Aujourd’hui, les chiffres du décrochage scolaire sont en recul au Québec. Il ont baissés de 4 % chez les moins de 20 ans ces dernières années (source la Presse). Mais la situation reste fragile, notamment auprès des garçons. « En 15 ans, la nature du problème a beaucoup changé« , m’explique Line, la directrice des interventions qui travaille à CyberCap depuis les débuts : « Les problèmes sont parfois multiples, autant au niveau de l’apprentissage, que des problèmes de santé ou de conditionnement social« .
CyberCap existe depuis 15 ans, et peut se féliciter du travail qu’il a déjà accompli. Sa prise de risque et son sens de l’innovation, ont permis à près de 800 jeunes de participer au programme TransiTIon, et à environ 9000 d’entre eux, de s’initier à l’univers du multimédia durant leur scolarité. Si les progrès sont là, la mission elle, est loin d’être terminée. Comme le rappelle Christian Grégoire, « L’important c’est d’essayer d’être une locomotive, de mener les choses. » Une manière de rappeler que rien n’est perdu d’avance. Et de souligner par la force des faits que le multimédia est aussi un véritable outil pédagogique.