L’Arène Théâtre, association universitaire rennaise de pratiques et de créations théâtrales, s’invitait à l’ADEC, du 4 au 9 mai. Et la Zamak Cie aussi, avec la pièce Shopping and Fucking. De l’écriture « In Yer Face ».
« In yer Face ». Ah ça oui, en pleine figure ! La Zamak, jeune compagnie créée en 2013 par des étudiants de Rennes II, a bien compris le principe de ce style originellement britannique de la fin du 20e dont l’auteur, Mark Ravenhill, est issu. Un théâtre « ouvertement agressif ou provocateur, impossible à ignorer ou éviter » selon le New Oxford English Dictionary, « qui saisit le public par la peau du cou et le secoue jusqu’à ce qu’il comprenne le message ».
Quelques membres de la compagnie s’étaient déjà penchés sur ce style de théâtre avec Guillaume Doucet, lors d’ateliers étudiants sur le théâtre britannique contemporain, proposés par la Paillette et la fac en 2012. Là, ils creusent dans cette veine, presque jusqu’au sang.
14 actes. Courts. Lumières. Noirs.
Scéno : 4 lieux fixés sur la scène : une salle à manger, un salon, un couloir d’hôpital, un boudoir kitsch. D’autres lieux apparaissent au fil de l’histoire, matérialisés par une simple table ou un paravent.
Les comédiens se lancent dès la 1ère scène pour presque 2h de lancers de mots et de mouvements des corps : argumentaires, course, chutes, confrontations orales et physiques, crachers de nourriture, changements de décors, tumulte.
L’histoire ? Un couple ; un psychopathe ; des dealers forcés ; un camé qui tente la désintox de drogue comme de sentiments ; des hommes en urgence de sexe entre hommes ; de la jalousie ; des histoires d’amour acheté, au téléphone ou non ; du sexe non conventionnel, du viol, du sado-masochisme, du harcèlement sexuel ; de la torture aussi, et peut-être même un ou deux meurtres…
Et puis des histoires de père et de fils, et de fils et de père, dans les dessins animés et la vraie vie. La transmission maladroite d’un héritage et de valeurs ? L’amour abusif ? La sagesse ?
Ah, il y a aussi de la nourriture. De la nourriture préparée, en barquette, pour une seule personne ; vraiment pas facile à partager. Aux saveurs exotiques, pour voyager un peu. Et un tout petit peu de shopping.
Comme un fil rouge de tout ça ? De l’argent. Ou plutôt : l’argent.
« La civilisation c’est l’argent. L’argent, c’est la civilisation ».
Tous les personnages sont imprégnés de l’idée magique et effrayante que l’argent peut tout. « Une fois qu’on a payé pour quelque chose, c’est juste un deal ! Fais-le et je te dirai je t’aime… » Quel que soit l’objet du deal. Même le plus atroce et le plus inacceptable. Pas d’espoir, pas de religion. Ou alors une Bible réécrite : « Prends l’argent d’abord », c’est par cela qu’elle débuterait.
La seule fulgurance d’espoir d’un monde qui ne serait pas gouverné par l’argent est amenée par l’homme du couple sous prod, mais elle est vite balayée par la morale du scénario qui emmène les protagonistes dans une course vitale à l’argent, menacés par une punition plutôt définitive suite à cette intolérable déviance d’avoir voulu s’en défaire.
Dérangeant, brut, trash. Drôle aussi, très. On rit beaucoup, parfois jaune mais pas tant. Les personnages sont pathétiques et en même temps attachants. Humains à l’excès, dans leur soumission à l’urgence de vivre (ou de mourir) et dans leur quête d’une voie à suivre, à défaut d’un sens, pour briser leur solitude et s’inventer des histoires.
La mise en scène de Delphine Battour, la scénographie, les lumières, les costumes, le jeu survolté et incarné des 5 comédiens, tout est au niveau pour défendre cette pièce provocante. Applaudissements discontinus et multiples rappels ont d’ailleurs salué cette équipe d’étudiants talentueux.